Ce film est, je trouve, injustement conspué. Son côté aguicheur, bling-bling, mélangeant modernité dérange, décidément. On avait eu le droit à ce même genre de rejet pour le film Marie-Antoinette. C'est comme si un film devait toujours transcrire platement et fidèlement son sujet. C'est comme si le réalisme devait primer sur tout le reste. Et pourtant, c'est précisément les écarts de ce film par rapport à l'histoire originale qui en font sa réussite et même une plus grande fidélité à l'esprit du roman d'origine. Quel intérêt de mettre en scène un roman aussi parfait que Gatsby ? En effet, à quoi ça sert de le transcrire cinématographiquement alors que le livre est indépassable et qu'en plus le cinéma n'est pas de la littérature ?
Quel autre choix avait donc le réalisateur que de s'éloigner de son sujet pour mieux y revenir ? Il multiplie les couleurs rutilantes, les fêtes enivrantes et démentes. On se dit, l'Amérique ne ressemblait pas à ça ? Mais c'est précisément par cet hyperbole qu'il parvient à saisir l'essence même du roman, un constant paradoxe entre un monde moderne et fou et Gatsby, un héros classique, chevaleresque et incorruptible. A la manière des métaphores dans le roman, on a ici une série d'images en décalé qui ne sont là que pour souligner un contraste.
Tout dans ce film est en réalité d'une fidélité extrême non pas tant au détail de l'intrigue, finalement secondaire, mais au sujet d'origine et au message, à savoir l'opposition entre le rêve et le conformisme et des personnages hauts en couleur. La musique est géniale. Réactualisation de vieux thème de jazz, de musiques d'époques, retour par touche à une musique classique, planante et onirique, faite de contraste, entre Gatsby et le reste du monde. Les costumes, les décors, tout. Le jeu de Di Caprio est impeccable. Les citations du roman insérées dans la narration sont justes splendides et sont autant d'hommages à cet écrin magnifique qu'est Gatsby. Le film est d'autant plus fidèle qu'il met pour moi en avant la passion du passé de Fitzgerald et de Gatsby dans un monde moderne puant et vulgaire, gouverné par l'argent. Le château féerique, les expressions aristocrates, l'orgue classique, la noblesse du héros, tout ça c'est précisément le thème du roman. Et le film le montre très bien.
Bien entendu il y a des défauts, certains effets pas terribles, niveau effets spéciaux, quelques personages superficiels, même si le sujet c'est précisément la superficialité. Une tendance un peu lourde au pathos qui manque de finesse par rapport au roman. Enfin, l'aspect social du livre est évacué. Le réalisateur se focalise sur l'histoire d'amour impossible.
Le film flotte dans une sorte d'irréalité, de délire haut en couleur qui ne fait que souligner l'absurdité de tous ces décors de cartons pâte grandiloquents, la folie d'une époque, la déréliction d'une génération perdue.
Il avait attendu si longtemps, et son rêve avait du lui paraitre si proche, qu'il ne pouvait lui échapper, mais il ne savait pas que le rêve était déjà derrière lui. Gatsby croyait en la lumière verte, en ce futur orgastique qui, d'années en années, recule devant nous. Il nous a échappé cette fois, peu importe. Demain nous courrons plus vite, nous tendrons nos bras plus loin et un beau matin... c'est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé.