Un Gatsby Luhrmannesque: intéressant mais too much.

Presque un siècle après sa parution, « Gatsby le Magnifique » écrit par Francis Scott Fitzgerald est une nouvelle fois adaptée au cinéma. L'histoire est celle de Jay Gatsby, un mystérieux millionnaire organisant les plus grandes soirées mondaines, racontée par Nick Carraway, son voisin. Au delà de sa réputation, personne ne sait vraiment qui est Gatsby et quelles sont ses motivations. Déterminé, il se crée un univers prestigieux dans le but de réconquérir son amour de toujours, Daisy Bucchanan. Emportés par l'ivresse des années folles, tous ces jeunes gens n'ont aucune conscience de leurs descentes aux enfers.

Peau neuve pour ce récit mythique des années folles : avec le réalisateur Baz Luhrmann, ce nouveau Gatsby s'annonce comme le plus moderne et excentrique. Connu pour son esthétique poussée à l'extrême et ses plans qui s'enchaînent à vive allure, Luhrmann conserve son style décalé. Il choisit Léonardo Di Caprio, son acteur fétiche (Roméo + Juliet), pour incarner le dandy éponyme. L'interprète de Gatsby se devait d'être une figure sacrée du cinéma pour être à la hauteur de toute l'ambiguïté et du prestige de son personnage. Le talentueux DiCaprio interprète Gatsby dans toute sa complexité et éblouit l'écran par sa prestance. L'ancien Spiderman, Tobey Maguire est quant à lui Nick Carraway, le narrateur. On regrette une interprétation un peu trop passive de ce dernier qui semble figé dans le décor durant tout le film, comme une pièce parmis tant d'autres de l'empire de Jay Gatsby. Carrey Mulligan (Drive) incarne la candide et ensorcelante, Daisy Bucchanan. Le choix de l'actrice colle parfaitement à l'image enfantine et rêveuse du personnage de Scott Fitzgerald : rien qu'à travers son pétillant regard, Carrey Mulligan retransmet les émotions de son personnage. D'une certaine manière, ce trio d'acteurs populaires et confirmés est un moyen commercial d'attirer la foule mais aussi de donner un souffle nouveau à cette histoire des années 20.

L'ambiance des années folles (la prohibition, les fêtes, l'émancipation des femmes, le bouleversement des mœurs et le rêve américain) est bien montrée à l'écran par Baz Luhrmann. Comme chez Fitzgerald, l'histoire n'est pas qu'une histoire d'amour : c'est l'évocation de toute une époque avec ses rêves déchus. Les quarantes premières minutes du film sont consacrées uniquement à la fête. On retrouve le dynamisme du réalisateur qui sidère le spectateur par ses effets visuels : jeux de lumière omniprésents, enchaînements des plans, plusieurs actions en même temps, décors et costumes somptueux mais excessifs. Le spectateur n'a pas le temps de s'ennuyer car tout va très vite et tout est fait pour l'éblouir : tout est disproportionné dans le film. Le mode de vie des années 20 est reproduit dans les moindres détails par le biais des costumes anciens, des pin-ups, des voitures ou encore des bars secrets durant la prohibition. Le seul anachronisme du réalisateur est volontaire, il prend le pari risqué d'utiliser des musiques modernes électros et rap pour casser les codes. Surprenant, on peut détester comme adorer les Fox-trot sur une chanson de Jay-Z, par exemple. Toutefois, le jazz qui est au cœur de l'oeuvre de Fitzgerald est omniprésent mais souvent remixé avec des musiques de notre temps. Impressionnés, on ne se lasse pas de l'esthétique du film même si certaines scènes frôlent le « kitsh » suite à une overdose d'effets de style. Les rares ralentis du film ne sont que prétexte pour appuyer l'ivresse du moment, l'éternité de l'instant ou au contraire le côté « bling-bling ». On peut envisager la rapidité filmique comme une manière de retranscrire le thème du temps, si cher à Fitzgerald, pour symboliser l'impatience des personnages, pressés par la vie. Comme dans le livre, il est aussi question du jeu entre rêve/réalité où se perdent les personnages : les plans plus rapide que l'histoire ainsi que la féerie qu'offre Gatsby équivauts à un détachement du réel. Tout en conservant son style à part, Lurhmann essaye de rendre au mieux hommage à l'oeuvre de Fitzgerald.

Pourtant, certains choix du réalisateur par rapport au livre demeurent incompréhensibles. Le film s'ouvre sur le narrateur Nick Carraway, dans un hôpital, discutant avec un psychiatre. Sur son dossier médical on peut lire qu'il est interné pour alcoolisme et pulsion violence. C'est le psychiatre qui posent des questions qui feront avancer le film en fonction des réponses de Nick. Le réalisateur insiste abusivement sur le côté tragique du film pour bien montrer que tout finira mal. A la fin du film, il est aussi montré que c'est Nick lui-même qui a écrit l'histoire de Gatsby en son hommage. Le personnage de Fitzgerald n'est à aucun moment interné mais le fait que ce soit lui qui écrit l'histoire est particulièrement intéressant : Nick Carraway est dans le film une sorte de double de l'écrivain Fitzgerald. Pour les deux créateurs : l'oeuvre se finit à la mort de Gatsby. Chez Luhrmann, même le générique est une sorte d'hommage, son excentricité laisse place à une musique presque funéraire. Cependant, on regrette la finesse de Fitzgerald comparé à la grossière insistance de Luhrmann à nous en mettre plein la vue. Le scénario, bien que fidèle aux écrits, est trop rapide et maladroit ce qui donne un côté comique à certaines scènes. Avant la première demi-heure, le spectateur connait déjà toute l'intrigue. De plus, certains éléments qui auraient pu apporter une toute autre vision du film ne sont pas montrés. La relation entre Nick et Jordan Baker, une riche sportive, n'est à aucun moment évoqué pourtant cela aurait rendu le personnage de Tobey Maguire plus intime/personnel au lieu du spectateur qui se serait senti plus proche de lui. Pour rajouter de la tristesse dans son film, le réalisateur n'évoque pas le père de Gatsby qui sera le seul à aller aux funérailles avec Nick. Dans le livre, le père évoque son fils avec beaucoup de fierté ce qui permet d'humaniser l'énigmatique Gatsby, nous émouvoir.

Avec cette adaptation ultra-moderne de « Gatsby le Magnifique », Baz Luhrmann tente de rendre hommage à Fitzgerald tout en prenant les risques qui caractérisent sa filmographie. Ecrasés par la puissance du duo Gatsby/Daisy, mis volontairement en avant par Baz Luhrmann, le narrateur (Tobey Maguire) ainsi que les seconds rôles, sont ridiculeusement peu exploités. Tout de même, l'interprétation individuelle de haut niveau des acteurs est à mentionner. Il est dommage que l'extravagance visuelle soit privilégiée par rapport au dialogue. Etouffés par l'esthétique et la musique, le film donne aux écrits de Fitzgerald une fâdeur qu'on ne leur connaissaient pas . « Gatsby le Magnifique » est un bon film mais avec beaucoup de forme et très peu de fond. Malheureusement, à force d'user de trop d'épate visuelle, le réalisateur réitère l'effet « spectacle plus que film » comme dans « Moulin Rouge ». L'oeuvre de Fitzgerald, suffisante à elle-même, ne nécissite pas tous ses artifices, pour être une chef d'oeuvre artistique.
Élodie Falco

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