Genèse est un grand film sur le mouvement des corps qui s’activent dans un décor régi par un ensemble de procédures figées que les protagonistes vont s’efforcer de faire bouger. L’espace clos par excellence, c’est la salle de classe où se dispense un enseignement des plus fumeux ; l’enseignant semble confondre sa classe avec un public thérapeutique, si bien qu’on ne le voit jamais dispenser un cours mais se perdre dans des réflexions de bas étage sur les femmes ou ses élèves. Il y a d’ailleurs une scène fortement significative, peut-être la plus belle scène du long-métrage, où la prof d’anglais demande à Guillaume de raconter une passion : l’exercice scolaire tourne rapidement à la déclaration d’amour doublée d’une affirmation de soi qui émeut les camarades de classe mais guère l’enseignante. À qui le tour ?..
Les parents s’avèrent tous défaillants : une mère alcoolisée doit être portée dans sa chambre, les parents de Zoé et Guillaume n’ont dans la voiture de présence que par leur voix. Pas de visage. Pas de présence. Preuve que l’adolescent se construit par ses propres expériences et n’a que faire des leçons, des préceptes, des interdits. Toutefois, il serait erroné de penser que le jugement des adultes ne l’affecte guère ; bien au contraire, suffisent quelques remarques désobligeante d’un prof puis les accusations d’un surveillant pour troubler le jeune Guillaume.
Philippe Lesage nous convie à creuser les carapaces d’indifférence et de supériorité apparentes pour toucher au plus près de la vie sensible des adolescents : sa mise en scène repose sur une utilisation foisonnante de zooms, comme si la caméra prolongeait notre regard depuis la surface vers l’invisible, l’indicible. Cet effet de rapprochement est tout entier contenu dans le travail photographique développé en début de film, ce même travail qui, dans la chambre rouge, ouvre en Charlotte une faille vertigineuse. Genèse pourrait se résumer à une collection de photographies et des négatifs qui les ont vu naître, à l’instar des images que renvoient les protagonistes, reflet inversé de leur identité incertaine et fragile. La répétition d’une poignée de chansons confère au film une douce impression de circuit fermé, signe de l’universalité de son récit qui dépeint si bien les premières amours, ces amours dissipées envolées disparues aujourd’hui, mais dont il reste toujours quelque chose.
Parce que la fugacité des poussières d’instants qu’il parvient à capter relègue au second plan une maîtrise formelle des plus abouties, Genèse s’affirme telle une œuvre lumineuse qui trouve ses soleils à mesure que s’embrasent les cœurs. Car rien n’est plus beau qu’un amour balbutiant et trébuchant, mais qui ose dire je t'aime.