Le temps fait parfois bien les choses. Découvrir le Geronimo de Walter Hill après Hostiles de Scott Cooper révèle à la fois la paternité revendiquée par ce dernier, prolongeant la reddition de l’Indien ennemi sous la forme d’un retour à la terre natale de laquelle il fut chassé – et cette chasse n’est autre que celle orchestrée par le long métrage de 1993 –, ainsi que l’humanisme d’un récit mettant en scène les exactions des deux camps en présence pour mieux chanter une paix qui n’est possible que dans l’au-delà. Geronimo pose les bases esthétiques d’Hostiles : une mélancolie générale qui se heurte à des scènes de sauvagerie, un lent crépuscule teinté de déceptions, la peinture d’une humanité fantomatique dont la soif de vengeance s’avère insatiable et stérile, comme en témoigne le guerrier apache en clausule, dans une séquence de dialogue que reprendra, presque à l’identique, Scott Cooper. Notons que Wes Studi assure la transition entre les deux.
Ce qui frappe dans le western de Walter Hill, c’est que les combats ne constituent pas le cœur des préoccupations ; ils sont d’ailleurs filmés de façon interne, les plans donnant l’impression d’avoir été captés au milieu de la mêlée dans laquelle s’affrontent pêle-mêle amis et ennemis. L’essentiel se joue ailleurs, dans les discussions entre les peuples et en leur sein qui doivent organiser la paix entre eux, mais dont chaque proposition se voit aussitôt soldée par un échec sanglant. Le cinéaste recourt à de nombreux gros plans sur les visages de ses acteurs : il scrute leur regard, fait parler pupille et iris, invente une communication non-verbale qui dit tout, soit la position de spectateur de personnages n’ayant aucune prise sur un affrontement racial de nature politique et bureaucratique – les ordres viennent d’en haut, les gradés se suivent et se ressemblent, unis par le service rendu à la nation et l’uniforme.
La terre indienne devient un lieu de passage : on y stocke des garnisons, on y tue, on y traque celles et ceux qui refusent de se plier aux lois imposées par le gouvernement américain. Aussi les protagonistes principaux apparaissent-ils tels des gardiens d’une mémoire territoriale, ils sont ceux qui connaissent la terre et son histoire, qui s’entretiennent avec les autres peuples de manière ou compatissante ou autoritaire. Ils sont autant d’avatars de ce « rêveur », chamane fusillé pour avoir prédit la trahison de l’homme blanc. Même Al Sieber, dont l’hostilité à l’égard des Apaches est explicite, éprouve du respect pour des ennemis qui, en d’autres circonstances, auraient pu lui être chers. En d’autres termes, Geronimo pense ses personnages comme des pions animés par des forces supérieures, une force politique, vindicative, religieuse ; il peint la disparition d’un mode de vie vieux de plus d’un millénaire comme une trahison étendue à tous ses acteurs, peu importe le camp qu’ils défendent ; il atteste la fin d’un genre, le western, qui semble s’éteindre avec les derniers mots du chef rebelle, « mon temps est terminé ».
Un immense film, à réévaluer d’urgence.