Premier film de la tétralogie Van Santienne de la mort (Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid Park), Gerry est un vrai manifeste aussi bien cinématographique qu’artistique. L’épuration de la mise en scène, les longs plans séquences et la raréfaction des dialogues, propres à ces 4 films, offrent au spectateur de vrais objets de pensée et de contemplation

Dans un sens, Gerry est une odyssée au même titre que 2001 : l’odyssée de l’espace. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on peut rapprocher le cinéma de Kubrick aux films de Van Sant. Pensons à Elephant et son traitement de la violence sociétale et de la jeunesse désanchantée (Alex le tueur qui joue du Beethoven ressemble au Alex d’Orange mécanique), ou encore comment Van Sant transforme métaphoriquement les couloirs labyrinthiques de l’école d’Elephant en champ de guerre (Full Metal Jacket n’est pas loin). Le rapprochement avec 2001 est moins aisé j’en conviens. Pourtant, ce sont tous les deux des odyssées où le retour au Lieu est vécu comme une obligation pour Kubrick, une contrainte pour Van Sant.

Dans Gerry, pas de générique tout comme dans 2001 où un écran noir de 5 minutes vient représenter le vide de l’espace. Dans Gerry, ce n’est pas un écran noir mais un écran bleu qui apparaît d’abord à l’écran. Que sommes en train d’observer ? Comme dans les premiers plans d’Elephant ou de Paranoid Park, on peut penser que Van Sant est en train de filmer le ciel mais cette fois ci sans que vienne s’y greffer la moindre trace humaine. Dans Gerry, contrairement à 2001, le ciel terrestre est là pour délimiter le voyage des Gerry. Les deux Gerry ne sont pas des astronautes mais comme Dave Bowman (l’astronaute de 2001), ils vont faire l’expérience d’un retour au Lieu, d’une redécouverte du monde, ou pour privilégier l’interprétation mythique du film, une découverte du monde.
Le désert, totalement hostile à l’Homme, permet de filmer des corps qui dans leurs mouvements et leurs aspects sensibles vont, à une vitesse accélérée, connaitre toutes les phases de la vie de l’Homme : du défi enfantin au début du film où Gerry 1 court après Gerry 2, en passant par la marche assurée de l’Homme adulte jusqu’au vieillissement, à l’immobilité contrainte et à la mort. En dehors du plan physique, Gerry est aussi un film qui symbolise à l’écran les grandes questions existentielles posées à l’Homme, les mêmes que celles que se posent Dave Bomwan dans son odyssée de l’espace,les mêmes aussi que se posaient certainement les grecs dans leurs odyssées.

Gerry 1 et Gerry 2 vont d’abord monter dans les hauteurs des montagnes du désert américain, première expérience de la verticalité, première tentative de contact avec Dieu. La scène d’anthologie où Gerry 1 est perché sur un immense rocher vertical sans même savoir comment y être atteri peut faire penser à une autre bloc vertical : le monolithe de 2001 de l’espace. Ne pouvant comprendre le sens caché du monolithe, Gerry 1 est contraint de sauter pour revenir au niveau humain horizontal, perdu seul dans le désert avec pour seul compagnon la figure mortelle de son ami Gerry 2. Ne pas se retourner reste alors la meilleure solution pour les deux hommes qui doivent continuer leur errement dans le désert, toujours en quête d’un sens, d’une vérité, d’une révélation.

Dans L’odyssée de l’espace, la révélation arrive à la fin du film à la suite du trip intersidéral de l’astronaute. Dans Gerry, le plan séquence précédent le dénouement peut s’apparenter au trip de l’atronaute : le moment où les deux Gerry marchent ensemble tels deux zombies dans un décor désormais lunaire où le mouvement semble arrêter. Les bruitages sonores sont tout sauf réalistes et dépeignent une atmosphère inquiétante et irréelle qui instigue au film encore un peu plus une portée métaphysique et existentielle.

Cette interprétation ne doit pas faire oublier l’unité, l’amitié bouleversante de ces deux amis. On peut d’ailleurs se demander si l’unité n’est pas poussée à son paroxysme par GVS, lui qui prête le même prénom à ses deux personnages. Cette appelation commune donne le sentiment que l‘identité individuelle fait problème et que quelque chose se cache derrière. Les doubles, les problèmes d’identité, le reflet sont récurrents dans l’oeuvre de Van Sant. Une interprétation plausible voudrait que le dénouement tragique du film, par la mort d’un des deux Gerry (mort consentie ou non par la victime) soit une exorcisation d’une pulsion, d’une peur par le meutre symbolique du double. Notons à cet égard que GVS laisse volontairement planer le doute alors qu’il répète les plans où les deux visages des Gerry semblent se confondre pour ne former qu’une seule et même personne. Le plan en question n'est pas sans rappeler un autre film traitant des problèmes d’identité individuelle : Persona de Bergman.

Gerry est un film sur le mythe de l’Homme moderne. En l’espace d’1H30, ce n’est pas seulement deux vies qui défilent sous nos yeux mais également l’histoire de l’Homme dans toute sa solitude (en témoigne l’un des derniers plans où les nuages font alterner l’obscurité et la lumière sur la terre désertique comme si des jours entiers défilés). Quête personelle pour l’un des Gerry qui prend fin après la mort du double symbolique, et parvient à se retrouver (comme le montre le plan accéléré qui fait s’arrêter la caméra sur Gerry 2 se tenant droit sur la route) met un terme à cet errement sans fin, à ce dédale de tournants…
KanedaShotaro
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le 10 sept. 2013

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Kaneda

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