Adapter ou plutôt réadapter Ghost in the Shell était une tache osée et relativement compliquée. Car non seulement le manga seinen cyberpunk du mangaka Masamune Shirow est une œuvre complexe et profonde, mais également car la première adaptation animée de Mamoru Oshii a su reprendre très fidèlement l’essence de l’œuvre original tout en se glissant au rang de film culte. Il fallait donc un réalisateur courageux et prêt à relever le défi pour aller jusqu’au bout du projet. On aurait pu s’attendre à un réalisateur expérimenté propulsé derrière les commandes, mais c’est à Rupert Sanders qu’est confié le projet. Réalisateur qui n’a jusqu’alors qu’un seul long-métrage à son actif : Blanche-Neige et le Chasseur. Pas forcément de bonne augure. Pour couronner le tout, le film est pointé du doigt pour whitewashing suite à l’arrivée de Scarlett Johansson pour incarner le Major, accusation en théorie totalement justifiée. Cette relecture américaine était donc sérieusement engagé sur une mauvaise pente, de quoi minimiser considérablement l’attente pour éviter une quelconque déception ou colère.
Mais c’est peut-être en minimisant nos attentes qu’on a le plus de chance d’être pris par surprise. Bien que cette relecture de Ghost in the Shell soit loin d’être parfaite, elle possède des qualités indéniables. La première étant, bien évidemment, visuelle. Certes, il y avait déjà des signes indicateurs dès les multiples bandes annonces, où l’on pouvait voir la ville futuriste prendre vie de la meilleure des manières. Il est vrai que c’est nettement plus facile de donner vie à un univers quant on est aidé par tout ce qui a été mis en place auparavant, mais cela ne certifie pas un rendu réaliste et crédible dans une version live. L’influence de Blade Runner de Ridley Scott est une évidence, mais cela n’empêche pas Rupert Sanders et son équipe de production design de creuser un peu plus cet aspect, afin de se réapproprier l’œuvre originel. Le design des geishas en est d’ailleurs un très bon exemple. Évidemment, il y a toujours quelques imperfections, notamment certains plans large intégralement numérique qui chatouillent la rétine, mais ils sont relativement mineurs dans l’ensemble de la production. Celle-ci étant globalement de très bonne facture, venant optimisé un remarquable travail à la décoration.
Mais là où on attendait surtout cette relecture de Ghost in the Shell, c’est dans son intrigue complexe et labyrinthique qui amène de profondes réflexions et des interrogations sur l’humanité, l’intelligence artificiel, le transhumanisme, etc. Dans la logique économique d’un blockbuster, il était prévisible que cette dimension soit très peu mis en avant, voir quasiment absent. Même si quelques-unes de ces notions (essentiellement le transhumanisme) sont traité en filigrane dans une intrigue relativement convenue. Pour autant, il ne fallait pas sous estimé ce Ghost in the Shell, car toujours dans une démarche de réappropriation de l’œuvre, Rupert Sanders propose une réflexion inattendue. Dans son rôle de relecture, le métrage s’interroge lui-même sur sa propre légitimation d’être une adaptation d’un manga occidentalisé, jusqu’à apporter une dimension méta au récit. Ce questionnement est poussé à travers la quête d’identité du personnage du Major ainsi que via son antagoniste. Qui suis-je ? Qu’elle était ma vie avant d’être le fruit d’une expérience ? Pourquoi m’a t-on conditionné ainsi ? Etc, etc. L’interrogation est certes nouvelle et moins profonde, mais tout de même en adéquation avec l’œuvre original. D’autant que ce questionnement de la légitimité se pose même à travers le choix de prendre Scarlett Johansson pour incarner le Major. Cette légitimité étant mêlée à l’intrigue principale jusque dans sa conclusion, l’accusation de whitewashing n’ayant de ce fait plus raison d’être. D’autant plus que l’action du film prend place dans une mégalopole ou l’immigration de masse a fait d’elle une cité cosmopolite éliminant ainsi la question de frontière, de nationalité et d’origine.
Scarlett Johansson est probablement le meilleur choix pour incarner le Major. Fruit de son expérience filmique, pour avoir interprétée une intelligence artificielle conçu pour s’adapter et évoluer dans Her de Spike Jonze, d’avoir incarné Lucy dans le film de Luc Besson qui à l’aide d’une drogue expérimentale absorbé par accident décuple ses capacités cérébrales, ou aussi pour sont rôle de la redoutable agente Black Widow dans le Marvel Cinematic Universe, faisait d'elle le choix idéal pour ce rôle. Le personnage du Major étant une sorte de fusion de ces trois personnages, dans leurs essences. D’autant plus que Scarlett Johansson incarne à merveille les mouvements rudes du Major, ainsi que dans ses expressions faciales et ses regards. En revanche, on est tout de même plus circonspect sur le choix de Michael Pitt qui est bien trop souvent fade dans la peau son personnage, bien que le rôle et son temps de présence à l’écran de lui facilite pas la tâche. Le reste du casting relève fort heureusement le niveau. Pilou Asbæk donne vie au personnage de Batou, en incarnant toutes les facettes du personnages, même au travers de son amour pour les chiens, faisant ainsi une belle référence à Ghost in the Shell 2 : Innocence de Mamoru Oshii. On a l’immense plaisir de retrouver l’excellent Takeshi Kitano dans le rôle Daisuke Aramaki, parfaite synthèse de sa filmographie (faisant même une référence, le temps d’une scène, à Outrage). Juliette Binoche est quant à elle fidèle à elle même, montrant une nouvelle son talent naturel quelque soit le rôle. Ghost in the Shell n’est pas la catastrophe annoncé. Bien qu’inférieur à la première adaptation de Mamoru Oshii, Rupert Sanders propose une relecture différente du matériau initial sans en trahir l’essence. Imparfait mais louable.