S’il y a un constat flagrant à faire dans ce 21ème siècle, c’est l’envie de la part des studios ou des créateurs de franchise de ressusciter les anciennes sagas et les anciennes gloires qui ont fait l’âge d’or du cinéma de genre, d’aventure et d’action des années 70 et 80, et même 90. Un phénomène de mode qui est loin de s’arrêter au grand déplaisir des fans les plus féroces. Difficile de leur jeter la pierre, tellement ces films ont rarement connus de suites aussi réussies que leurs opus précédents. Mais une annonce est venue redistribuer les cartes, comme si elle était venue pour montrer la voie qu’il fallait emprunter afin que le phœnix puisse renaître de ses cendres. Ce phœnix n’est autre que George Miller à l’image de son justicier Max Rockatansky dans Mad Max : Fury Road. Grâce à de multiples bandes annonces alléchantes, le moteur qui est en nous à commencer à vrombir à nouveau comme dans l’ancien temps. Le deuxième défi qui se présentait maintenant devant le visionnaire australien était d’entretenir notre flamme pendant deux heures durant. Un défi relevé de main de maitre, ce qui n’est pas peu dire.
Dès l’introduction tonitruante, le ton est donné, Max (Tom Hardy) va devoir mordre la poussière pour pouvoir se relever et redevenir le justicier qu’il était. Sa reconstruction sera longue et douloureuse, tout comme l’est son passé. Un passé qui l’a marqué à vif et qui l’a fait succombé dans une folie qui est à l’image du monde des hommes dans lequel les humains doivent apprendre à survivre face à de nombreux diktat. A l’heure où le cinéma moderne rabâche sans cesse la même information afin d’être sûr que le spectateur a bien compris le message, George Miller fait parler son expérience, tout en faisant preuve de subtilité pour faire passer ses nombreux messages qui possèdent plusieurs degrés de lecture pour un seul but commun : critiquer notre monde moderne comme si le monde à feu et à sang de Mad Max était notre avenir, si notre déchéance continue d’avancer dans cette direction avec une folie furieuse sans précédent. Dans ce monde où l’espoir semble anéanti sur l’hôtel de l’exploitation sous toutes ses formes, l’humanité est rabaissée à l’état d’objet. Des esclaves dont l’objectif est de les asservir afin d’augmenter le profit d’un seul homme. Une industrialisation qui atteint son paroxysme sous l’égide d’un dieu autoproclamé sous un modèle capitaliste. Les enfants sont transformés en source d’énergie pour alimenter une machinerie gigantesque, il est assez aisé d’y voir le parallèle avec notre monde qui utilise les enfants dans des usines. Les femmes sont placées telles des poules pondeuses pour, non seulement satisfaire la libido de la haute caste masculine, immortalisé par le tyran Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne) mais également pour produire la chair à canon kamikaze du diktat. Cette chair à canon formatée et conditionnée qui parcourt les terres arides afin de livrer la guerre au nom de l’avidité humaine. Difficile de ne pas y voir ici une critique de nos soldats qui sont envoyés à travers le monde pour servir les besoins obscurs de la finance, notamment au niveau pétrolier. D’autres femmes sont, quant à elles, reléguées au statut de vaches à lait pour les « besoins » de l’homme. Au-delà d’une critique du patriarcat décomplexé, George Miller, végétarien convaincu, y place en sous-texte une critique de l’exploitation animale industrielle (comme c’était plus ou moins le cas dans la saga Babe) en y montrant les femmes reléguées, comme je le disais plus haut, au rang de poules pondeuses et vaches à lait. D’ailleurs, les spectateurs pourront y remarquer que les femmes du film sont d’ailleurs végétariennes que ce soit via les salades qui poussent seulement dans la zone où elles sont retenues captives. Mais également dans l’objectif des Innombrables Mères qui ne souhaitent qu’une terre fertile afin d’y faire repousser des fruits et des légumes comme avant la destruction du monde. Une destruction du monde que les femmes dénoncent comme étant les conséquences des actes d’Immortan Joe. La réplique, « Mais qui a détruit le monde ? » en est l’exemple le plus flagrant. Ce même dictateur qui appauvrit le peuple en eau pour ses propres besoins. Le nom de son usine à eau, Aqua Cola, est d’ailleurs une critique ciblée des pratiques de la multinationale Coca Cola qui appauvrit les pays les plus pauvres en y installant leurs propres usines pour pomper l’eau des peuples les plus en souffrance.
En plus de l’omniprésence de la critique du capitalisme, le discours féministe et sur l’égalité des sexes est également le fil rouge du film. Fury Road et son univers ultra-violent est un symbole sur le long et dur chemin qu’affrontent les femmes au quotidien pour acquérir leurs droits fondamentaux ainsi que leurs libertés. Cette lutte qui est incarnée bien évidemment par le personnage de l’Imperator Furiosa interprété avec brio par une Charlize Theron totalement habitée. Elle en vole même la vedette à Tom Hardy qui reprend parfaitement le flambeau de Mel Gibson dans le rôle de Max Rockatansky. Son personnage d’une grande force et d’une grande émotion mérite amplement de figurer au panthéon des personnages iconiques comme l’étaient Sigourner Weaver dans le rôle d’Ellen Ripley dans la saga Alien et Linda Hamilton dans le rôle de Sarah Connor dans la saga Terminator. Mais Charlize Theron n’est pas la seule femme forte du métrage, elles le sont toutes à leur manière que ce soit par leurs forces physiques et psychologiques mais également par leurs moments de douceurs et intimistes. L’exemple intimiste le plus flagrant étant les échanges entre les deux personnages Capable (Riley Keough) et Nux (Nicholas Hoult), pour désendoctriner ce dernier de nombreuses années de formatage sectaire. Mais le symbole le plus marquant du film sur la libération de la femme, sous le joug du patriarcat, est clairement la scène où les épouses forcées d’Immortan Joe se libèrent de son emprise en retirant au coupe-boulon leurs ceintures de chasteté.
Au-delà de l’aspect politisé et engagé du film, Mad Max : Fury Road est un véritable tour de force en terme de mise en scène. Découpage millimétré, montage d’une fluidité et d’une lisibilité déconcertante, notamment grâce à un sens du cadre et du placement des comédiens extrêmement méticuleux pour ne pas perdre une seconde du film en cherchant les différents protagonistes à l’image. Non satisfait de nous en mettre plein la vue avec ses multiples cascades hallucinantes et ses money shots à la pelle, Mad Max : Fury Road, possède probablement une des plus belles photographies depuis de nombreuses années. De ce fait, certaines séquences seront gravées à jamais dans l’histoire du cinéma, la séquence de la tempête de sable et les splendides nuits américaines (notamment celle du marais) en ligne de mire. Pour couronner le tout, l’excellente bande originale électrique de Junkie XL vient fusionner à merveille l’extase auditif à la maestria visuelle pour nous captiver totalement, nous laissant quasiment aucun répit ou presque.
On pourrait seulement reprocher à George Miller, de n’avoir pas montré les lieux de Pétroville et du Moulin à Balles pour étoffer le monde ouvert de ce film. Une décision sûrement réfléchie, car cela n’aurait été probablement qu’une simple redite de ce qu’il se passe à la Citadelle d’Immortan Joe, un diktat omniprésent où les plus forts se servent des plus faibles pour leurs profits personnels. Un choix qui, s’il avait été présent, aurait grandement alourdi le propos, et qui laisse du coup de multiples possibilités pour les futures suites que l’on espère tout aussi alléchantes. Mad Max et George Miller sont de retour et écrasent tout sur leur passage, tel le porte-guerre qu’il est. Avec Mad Max : Fury Road, George Miller revient par la grande porte en donnant une véritable leçon de cinéma. Le réalisateur s’impose ici comme le grand patron du cinéma d’action en proposant un des meilleurs actionner de tous les temps, écrasant même les trois premiers opus de la saga. La route est grande ouverte pour George Miller et il n’a même pas besoin de regarder dans le rétroviseur, car ses poursuivants sont bien trop en retard.