Il est toujours délicat de s'attaquer à un film mythique, ou largement plébiscité, et l'immersion dans Ghost in the Shell semble confirmer ce fait : ambiance sombre et froide teintée de bleue, robots humanoïdes et personnages visiblement ventriloques nous accueillent dans ce conte cyberpunk de Mamoru Oshii, tiré du manga de Masamune Shirow. Mais aussitôt passé le temps d'adaptation, cet anime se révèle être une pépite du genre.
Ghost in the Shell nous plonge dans un futur proche dans lequel hommes et androides vivent en cohabitation, thème qui renvoie aux thèses d'Asimov mais surtout de P.K. Dick concernant la place des robots dans la société. Dans cet univers pas si éloigné du notre, il est possible pour les humains de substituer n'importe quelle partie de leur corps par un matériel de synthèse à la pointe de la technologie. Un homme peut donc, s’il le souhaite, devenir à son tour un véritable robot. Dès le postulat de départ, il est donc question de la disparition de l'humanité, progressivement remplacée par un être plus évolué. On peut ainsi parler de darwinisme : ce sont les êtres les plus adaptés à leur milieu qui survivent.
Deux autres questions vont se chevaucher durant Ghost in the Shell : la problématique de l'acquisition de la conscience, et le problème soulevé par une intelligence artificielle.
Reprenons la trame principale : La Section 9 est une unité impliquée dans les affaires d'espionnage. Un mystérieux cyber-pirate, prénommé le Puppet Master, pénètre les réseaux les mieux protégés. Au cœur de cette unité spéciale, on retrouve l'humain Togusa et deux androides, Batou mais surtout le major Motoko Kusanagi. C'est sur elle que va se recentrer Ghost in the Shell. A travers son regard perçant, on la voit douter, s'interroger sur sa nature et sa place dans ce monde.
Suffit-il de naitre humain pour être un homme ? Ou peut-on le devenir par nos actes ?
Batou, le partenaire de Motoko, ne comprend pas pourquoi cette dernière fait de la plongée, alors que cette activité est très dangereuse pour un corps robotique. Elle lui répond qu’elle se sent bien, seule dans les profondeurs. Mais ne serait-ce pas pour se sentir vivante, tout simplement ? Du moins, c’est comme cela que nous pouvons le comprendre. Motoko parait plus humaine, plus humanisée que les autres personnages présents.
On retrouve également dans Ghost in the Shell la problématique de l’Intelligence Artificielle. On peut comparer le Puppet Master et HAL 9000, le malicieux ordinateur de bord de 2001 : A Space Odyssey. Ces deux intelligences parviennent à s’émanciper de leur forme purement informatique pour se jouer des hommes (un temps, du moins) et impacter la réalité, et cela sans véritable existence physique. HAL n’est qu’un (gros) ordinateur, et le Puppet Master est au départ un programme d’espionnage.
Avons nous encore le contrôle sur la technologie ? Ou bien sommes nous déjà condamnés ?
J’ai ici pris comme exemple un des cas les plus célèbres. Mais on retrouve dans de nombreux films l’idée que nous sommes les esclaves des machines. Du très seventies The Forbin Project au tout nouveau Ex Machina, les films qui traitent de cette thématique sont bien souvent pessimistes, et Ghost in the Shell ne déroge pas à la règle. Et cela ne concerne pas que l’intrigue autour de l’Intelligence Artificielle.
L’atmosphère sombre et brumeuse renforce le côté mystérieux du film (faisant irrémédiablement pensé à Blade Runner) et son ambiance cyberpunk. Autres marques de cet environnement : une anti-héroïne désabusée en quête d’identité, un univers teinté de violence, et la vision chaotique d’une société déshumanisée entièrement connectée en réseaux où un hacker assez talentueux comme le Puppet Master peut tout chambouler.
Visuellement, Ghost in the Shell épate. Par sa qualité d’animation mais surtout par sa mise en scène. Les idées brillantes s’enchainent, les scènes d’action combinent avec des plans plus contemplatifs. Qu’il s’agisse d’animer une fusillade (la dernière du film est très forte d’ailleurs) ou de retranscrire le vol paisible d’un hélicoptère dans la pénombre, tout est bien ficelé.
Enfin, comment parler de Ghost in the Shell sans dire deux mots de la fantastique musique de Kenji Kawai ? Car la partition qu'il livre ici est exceptionnelle, sublimant chaque moment du film.
(Petits spoilers inside...)
Malgré sa richesse, Ghost in the Shell ne nous étouffe jamais. Et quand son intrigue nous tient en haleine pendant une heure, sa conclusion nous envoute en un rien de temps et efface complètement ce qu’on vient de voir. On assiste alors à la réunion divine entre Motoko et le Puppet Master.
Kusanagi n’est plus, un nouvel être est né. Réincarnée dans le corps d’une jeune fille, la « nouvelle » Motoko prend pleinement conscience de son existence, et devant elle se dresse l’immensité de la ville, qui apparait alors littéralement à ses pieds. La fin n’est ainsi que le commencement.