Alors que dans le milieu de l’animation occidentale les studios Pixar sortaient leur premier long-métrage d’animation en image de synthèse avec Toy Story en révolutionnant le domaine et que Disney commençait à plonger dans un nouvel âge noir avec la sortie de Pocahontas : une légende indienne, le pays du soleil levant va connaître une nouvelle adaptation de manga sur grand écran qui parviendra à se créer une côte de popularité importante aussi bien au Japon qu’aux USA (ou il devient numéro 1 des ventes vidéo pendant plusieurs semaines) et en Europe. Et qui, aujourd’hui encore, est toujours exploité à l'image de la future adaptation Live.
Dans les années 80/90, la culture manga et l’animation japonaise sont loin d’être prises au sérieux en France puisqu’à ce moment (et malheureusement encore maintenant), beaucoup réduisent l’animation à un cinéma destiné à un public jeune malgré certains titres qui y font exception dans la culture geek ou populaire tel que Akira (surestimé), Princesse Mononoké ou encore Ghost in the Shell. Même maintenant la distribution des films d’animation japonais fait peine à voir, à l'image de Your Name mal distribué sur notre territoire.
Et ce n’est pas le doublage français qui aidait à rendre l’animation japonais populaire durant les 80's et les 90's : tant les comédiens jouaient de manière exécrable voire nanardesque derrière le micro, surtout pour les séries d’animation mais aussi pour certains films comme Akira.
Cette tare a heureusement tendance à beaucoup s’amenuiser grandement à la fin des années 90 mais en tant que fan de l’animation japonaise, ça m’a toujours énervé de voir une bonne partie du public considérer la Japanimation comme une galerie de film pour gosse. Alors que pourtant des œuvres tel que les séries Cowboy Bebop, Stein;Gate , Samurai Champloo ou Code Geass ainsi que de nombreux films comme Un été avec Coo, Jin-Roh, Miss Hokusai ou encore Patlabor ont bien plus à proposer que les navets qui sortent à la pelle de la part de certains studios d’animation américain.
En plus de cela, Mamoru Oshii avait déjà fait ses preuves bien avant d’adapter à sa façon le manga de Masamune Shirow. Surtout grâce à l’excellent Patlabor et au très biblique et incroyablement envoûtant L’œuf de l’ange, un film expérimental déjà symbolique de la froideur de l’ensemble de ses films mais bien trop méconnu et que j’encourage à voir.
Ce qui est ahurissant, en premier lieu avec ce film, c’est de voir à quel point il semble avant-gardiste et complexe sur les thèmes qu’il aborde et notre rapport à la technologie, notre identité, et à la quête d’humanité de ses personnages principaux doté d’une conscience propre et indépendante appelé ici le Ghost, mais pourtant remettant en cause leur condition et habité par un sentiment de vide, ou même la naissance d’une vie autre part que par la chair et la technologie physique et l'idée même que nous pourrions vivre avec une mémoire et une vie qui n'a jamais été la nôtre.
De même pour les enjeux politiques présents et l’état actuel du Japon à travers plusieurs séquences contemplatifs digne d’un film de Mamoru Oshii, de nombreux plans s’enchaînant lentement à un rythme lancinant et défaitiste face à la présence des technologies envahissante, autant dire bien loin d’un long-métrage animé bon enfant dans lesquels on citerait Disney, Blue Sky Studio ou encore Dreamworks Animation.
L’ambiance dégagée par les images se retrouve renforcée par l’atmosphère glaçante de la musique de Kenji Kawai. L’instrumentation traditionnelle japonaise étant lente mais vibrante grâce au rythme des chœurs présent lors du thème principal, et s’assemblant avec magnificence et froideur aux scènes de contemplation à travers la ville de Tokyo.
D’ailleurs le travail d’animation du film témoigne en très grande partie de la supériorité du film par rapport à l’ensemble des films d’animation de l’époque. Nombre de nouvelle technologie ayant été employé pour rendre crédible et vivant ce futur cyberpunk : les dessins numérique, les celluloïds animés grâce aux moyens informatique, ou encore les dessins informatiques et l’image de synthèse associé à l’animation traditionnel. La gestion s’en révèle bluffant, l’exemple du camouflage thermo-optique des agents de la section 9 ou du cyber-pirate en étant un bon exemple, l’association avec les dessins ne semblant jamais sale ou mal assemblé. Et si on ajoute la mise en image de Mamoru Oshii avec les plans en contre-plongée lors des scènes contemplatives et les jeux d’échelle avec un personnage devant un décor s’agrandissant sur celui-ci pendant que la caméra zoome en arrière. Sans parler de la lumière aussi puissante que froide, notamment lors du premier plan ou l'on voit Kusanagi à côté de la fenêtre donnant vue sur la ville.
Le terme froideur est ce qui défini le mieux l’ambiance du film et sa direction artistique, à l’image de la scène d’introduction du Major
en tenue tellement moulante qu’on ne peut que l’imaginer nue
et des scènes de combats assez épurés dans le mouvement sans pour autant perdre leur brutalité et leur violence.
Et ses protagonistes, surtout ses deux cyborgs devenus maintenant des icônes très popularisés dans la pop culture : le major Motoko Kusanagi aussi sexy que bad-ass et mature, et Batou l’un des gros muscles les plus connus de la Japanimation (et dont le créateur du manga a eu l’idée en pensant à Ron Perlman). Et je ne peux m’empêcher de glisser un mot sur le doublage français qui, enfin, propose un travail qui ne nous prend pas pour des bœufs : parce que quand tu as Tania Torrens pour le Major (la voix française de Sigourney Weaver) et Daniel Berreta, l’éternel et irremplaçable Schwarzenegger français pour Batou, ça force le respect et chacun fait un excellent travail.
Les autres membres de la section 9 tel que Togusa ou Ishikawa sont assez plaisant mais sont davantage en retrait, Togusa moins qu’Ishikawa quand même (Stand Alone Complex leur donnera bien plus d’occasion d’être mis en avant), de même pour le chef de la section 9 Aramaki. Les membres tels que Saito, Borma et Paz ne sont pas plus cité que ça (Saito n’apparaissant que 30 secondes).
Enfin, impossible de parler du film sans évoquer le rapport entre le major et le fameux Puppet Master, objet même de l’ensemble des thématiques abordés. Car il est celui qui apporte la réponse même à la situation de Kusanagi en quête de son humanité :
si elle ne peut être humaine ou ne peut se reconnaître comme telle, il n’y a pas d’autres solutions que d’évoluer. Le marionnettiste et Kusanagi devenant ainsi les Adam et Eve d’une nouvelle espèce d’être vivant dans ce futur cybernétisé, issue de la fusion entre une cyborg et un être artificiel ayant développé sa propre conscience à travers le réseau du net.
Et pourtant, dés que le générique de fin arrive, je ne peux pas m’empêcher de me dire que le film aurait gagné à être étendu un peu plus tant il a su se montrer riche et complexe en moins d’une heure et demi tant par ses personnages que ses thèmes, son univers et son travail visuel qui reste toujours remarquable après 20 ans d’existence. Au point que le film est devenu une référence dans le domaine de l’animation.
Ce qui me fait penser, si la Japanimation est bien moins mis en avant que les productions animé américaines et peu reconnu par bon nombre de gens : comment se fait-il que plusieurs cinéastes tel que les Wachowski se soient inspirés de ces films comme pour Matrix ? Pourquoi Darren Aronofsky et Christopher Nolan se sont inspirés de certaines séquences de Perfect Blue ou de Paprika de Satoshi Kon pour réaliser Black Swan et Inception ? Sans parler de la série Cowboy Bebop multi référencé dans son univers de SF à la sauce western et Jazzy. Rien qu’avec tout ça, je pense qu’il faudra tôt ou tard redonner à la Japanimation une place d’honneur qui lui revient.
Ghost in the Shell connaîtra une version en série plus fidèle au manga et d’excellent facture à travers les deux saisons Stand Alone Complex, ainsi qu’une série de 4 préquels de bonne facture mais moins frais et bien sur une adaptation en film Live. Malheureusement bien moins alléchante à première vue, mais ça ne détruira pas le travail accompli sur le film original qui reste la preuve que l’animation japonaise a beaucoup plus à proposer qu’on ne le pense.
Bref… j’adore ce film.