Comédie noire ou teen movie au ton adulte et souvent désabusé, entretenant toutefois sa propre forme d'humour froid et décalé (Doug gagne direct sa place au panthéon des personnages fétiches des comédies adolescentes).
C'est la fin du lycée pour Enid et Rebecca, deux amies inséparables détestant et méprisant à peu près le monde entier. L'université n'est pas une option pour elles qui n'ont qu'un objectif : trouver un job et un appart à partager, s'émanciper, enfin, dire adieu à tous ces tocards. Évidemment, la réalité se montrera plus compliquée. C'est un monde nouveau qui s'annonce et s'avance, un monde fantôme difficile à appréhender, en particulier pour Enid (un peu la cousine de Daria) dont la trajectoire éclipsera progressivement celle de Rebecca, plus pragmatique, moins torturée. Enid c'est l'artiste, l'associale au look vintage (tout le film se plaît par ailleurs à travailler son visuel un peu rétro) qui aime se moquer des garçons, qui préférerait se pendre plutôt que de voir la copine de son père s'installer à la maison, qui se réfugie dans le dessin sans formuler le moindre vrai dessein, pour qui l'avenir semble si lointain. Enid ne peut pas encadrer tous ces losers avec lesquels elle doit se taper son repêchage d'art plastique tout l'été et pourtant, quand Seymour apparaîtra dans sa vie à la faveur d'une farce assez malintentionnée, ce sera une sorte de coup de foudre qui ne dit pas son nom. Une sorte de coup de foudre pour cet inadapté, ce vieux garçon qui a renoncé depuis un bout de temps à toute ambition, qui ne porte plus d'attention qu'à sa collection de vinyls de blues un peu rayés. C'est justement le blues, au sens propre et figuré, qui les rapprochera rapidement, sortant peu à peu Rebecca du jeu. C'est à une relation quasi exclusive qu'Enid, sans s'en rendre compte, aura alors tendance à se consacrer, une relation aussi improbable qu'enrichissante, mais aussi une relation dans laquelle s'isoler et prendre ses distances avec la société, encore un peu plus. Enid et Seymour ne portent pas de Nike, n'aiment pas danser et vomissent le pop-corn baignant dans le beurre chimique ; Enid et Seymour ne font pas partie de cette Amérique, Enid et Seymour ont comme un handicap relationnel à compenser.
Malgré son mordant, son auto-dérision et son goût pour les filles aux cheveux verts, Zwigoff diffuse dans "Ghost World" une mélancolie latente mais bien prégnante. Ce genre de mélancolie qui peut facilement vous gagner en saluant ce vieil homme assis seul sur son banc, comme tous les jours, à attendre un bus hors-service. "Ghost World" donc, c'est la fin du lycée et l'amitié qui s'effrite, les repères qui s'émiettent, l'amour qui s'invite sans vraiment en avoir envie. C'est ce sentiment de solitude qui vous servira longtemps de stabilisateur sur le vélo de la vie.
On notera pour finir que, même si la suite de leur carrière ne leur apporta pas franchement le même succès ni la même notoriété, Thora Birch anonymise ici totalement Scarlett Johansson ; c'est bien elle l'empreinte du film.