Avant d'être connu par le grand-public et diriger des 'stars' comme Jessica Chastain ou Viggo Mortensen (adaptation de La route, puis Des hommes sans loi), John Hillcoat tournait en Australie des films plutôt arides (comme le western The Proposition). Ghosts of the Civil dead est sa première réalisation, partiellement inspirée de la vie de Jack Henry Abbott, criminel devenu écrivain en prison (In the Baily of the Beast, série de lettres publiée grâce au soutien de Norman Mailer en 1980). Le titre fait référence à la perte de leurs droits par les détenus ('civilement morts'). Le spectateur passe une heure et demie dans les couloirs de la centrale Pilote, avec des prisonniers jugés difficiles.


Ghosts se construit par fragments, sans privilégier d'histoires ou de récits particuliers. C'est une ascension inéluctable vers le déferlement de violence. Ce dispositif le met à proximité du pseudo documentaire mais des propriétés purement cinématographiques sont toujours présentes ; à de nombreuses reprises Ghosts ressemble même à un thriller ou un film d'angoisse, déployant des mouvements 'lourds' et assez abstraits fréquents dans ces genres. À l'image de cette prison de haute sécurité, l'ambiance est à la fois miteuse et ultra-rationnelle. Un voile poisseux couvre toutes les réalités de la prison, une bande-son perçante et des cliquetis pénibles flottent dans l'air. Ce qui fait de ces détenus des hommes et non des enfants capricieux ou des ados tarés s'estompe ; et ça leur va bien, au fond.


Ce qui va moins, c'est d'être privé et affadi de la sorte. Car dans un premier temps, ces types vivotent un peu comme des animaux en cage ; taillés pour la jungle, ils s'accommodent de cette sous-jungle. Elle est confortable, sèche et moite. Le cynisme règne et (en contrepartie du légitime despotisme des gardiens) les 'libertés' relatives avec : porno à foison, tolérance pour des consommations diverses. Au fur et à mesure du film l'emprise se durcit et les restrictions se multiplient, provoquant des frustrations intenses chez ceux qui ne savent pas les endurer même élémentaires. La critique de Ghosts à l'égard de la prison est ambiguë : la surenchère répressive est indirectement vilipendée pour son caractère inhumain, mais aussi pour son inefficacité. Ghosts est récupérable politiquement, mais n'est ni romantique, ni 'idéaliste'.


Il s'en tient à constater le caractère insoluble de l'institution, poursuivant les cycles de destruction et de dégradation engagés par les criminels. Les personnages sont survolés avec intelligence et la synthèse est très éloquente (il faudrait même dire extrêmement rentable par rapport aux moyens consentis). La voix-off évite de balayer le passé des détenus ; eux le rapportent par bribes pendant qu'ils se livrent ou sont assistés par la caméra dans certains moments de détachement. Ils puent la bêtise et l'aliénation quasi innée. En face, pas de bourreaux ou de 'tordus' chez les gardiens : un système d'oppression n'a pas besoin de fanatiques, juste de vigiles. Même moralement embarrassés ou gerbant sur les écrans de contrôles lorsque les choses dérapent (le filtre des caméras de sécurité est régulièrement celui du film).


Dans son deuxième tiers le film s'assoupit un peu, car entre l'ère des régressions complaisantes et celle des foucades absurdes et fracassantes, il y a le temps de la descente, où la logique de la prison est menée à son terme (biens retirés, mise en place de cages, isolements accrus). La rage est tue et prête à surgir, il n'y a plus de soupape, plus rien à perdre mais encore à reculer, seulement des coups et des humiliations supplémentaires pour répondre aux mauvais instincts. Ghosts of the civils dead souffle le chaud et le froid : la chaleur d'une haleine de déchet se tenant debout, les ondes glacées d'un désespoir souverain. Les amateurs du chanteur (et 'artiste') Nick Cave le retrouveront dans la peau d'un dément fournissant le climax suite à ses pétages de plombs en cellule. Cave n'est pas ici comme guest : il a travaillé avec Hillcoat à l'écriture de ce film, ainsi qu'à celle de The Proposition.


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le 5 janv. 2016

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