Pour son deuxième film sur le sol américain, le réalisateur suédois Lasse Hallström pond une satire sociale -d'après le roman éponyme de Peter Hedges qui se fait également scénariste (pauvre de nous !)- enjouée et fortement déconvenue.
« Gilbert Grape », synopsis : depuis la mort de son père, Gilbert assume la responsabilité de chef de famille pour sa mère qui en reste inconsolable car planquée sur son canapé toute la journée, ses deux sœurs qui font le ménage et la cuisine, et son jeune frère Arnie, handicapé mental de 18 ans qu'il faut surveiller comme un cheveu sur la soupe. Lorsque Gilbert fait la connaissance d'une jeune fille de son âge qui débarque dans sa ville natale, ses convictions et son identité en seront bouleversés pour toujours... .
A partir de ce postulat, on pourrait croire qu'on a affaire au film social et sociétal du siècle. Il n'en est rien ! De ce film aux questions sociales et de ce brûlot anti-américain, le réalisateur Lasse Hallström pique ici et là des idées de mise en scène originales (la rencontre de Johnny Depp et de sa maîtresse (une femme mariée), les regards sur la différence lors de la sortie de la mère de famille du commissariat, une maison en feu) en se contentant de filmer ses acteurs à hauteur d'hommes.
De cet anti-américanisme, il ne reste que le casting (qui s'en donne à cœur joie !) qui fait de ce film un film américain classique par excellence.
Un classique du film américain ? Je dis oui, en bonne et due forme même. Merci Lasse Hallstrôm ! (ironie).
« Gilbert Grape » est donc dominé par un trio d'enfer : Johnny Depp-Leonardo DiCaprio-Juliette Lewis.
Johnny Depp (en 1993, 30 ans, il est déjà star, mais aux antipodes d'Hollywood : s'il a participé à « Platoon », il se révèle avec la série « 21 jump street », joue dans la comédie musicale « Cry baby » de John Waters et incarne Edward pour la première des huit collaborations avec Tim Burton dans le non moins mythique « Edward aux mains d'argent ») campe Gilbert, un grand frère à fleur de peau, blessé par la vie. Une belle interprétation, à son image. Quel pirate !
Leonardo DiCaprio (19 ans sur le tournage, il est cette star en devenir : jouant d'abord dans les séries « Santa Barbara » et « Quoi de neuf, docteur ? », il s'oriente vers le cinéma avec un mini-rôle dans « Critters 3 » avant de donner la réplique à DeNiro pour « Blessures secrètes ». La suite ? Tout le monde la connaît : « Mort ou vif », le beau succès « Romeo + Juliette » de Luhrmann, la déferlante « Titanic », …) est ce gamin Arnie, handicapé mental, qui va fêter ses 18 ans : un très beau rôle de composition ! J'adhère à 200% !
Juliette Lewis (les sommets de sa carrière se situent dans les 90's : « Les nerfs à vif » de Scorsese, « Kalifornia » -avec Brad Pitt-, le fameux « Tueurs nés » d'Oliver Stone, « Strange days » de Bigelow et le vampirique « Une nuit en enfer » de Rodriguez sont là pour le prouver !) incarne une fille bohème, amoureuse du grand frère (Johnny Depp), qui ne renie pas ses talents cachés. Une subtile tranche de vie de la part de Juliette.
Mention très spéciale à DiCaprio, à l'aube de sa carrière, qui montre déjà la palette d'un très grand acteur (pour se préparer, il passa de longs moments dans des centres spécialisés). La preuve en est fait qu'il est nommé par deux fois meilleur second rôle masculin par les Oscars et les Golden Globes. Ce sera finalement Tommy Lee Jones qui remportera les précieux sésames pour son interprétation tonitruante du marshall taciturne et obstiné du « Fugitif ».
Avec également, en des seconds rôles croustillants, John C. Reilly (second rôle par excellence : « Outrages », « La ligne rouge », « Chicago » de Rob Marshall, « Aviator », « Carnage » de Polanski, « Les frères Sisters », ...), reconnaissable parmi tous, et la tristement regrettée 'baleine', Darlene Cates (connu du grand public par ce rôle), en mère de famille dépassée par les événements.
Vous l'avez compris, je l'ai déjà dit plus haut, le réalisateur de « Ce cher intrus » et « Hatchi » ose une mise en scène hachée et bâclée par un montage beaucoup trop découpé et saccadé.
Montage pourtant mitonné par Andrew Mondshein (collaborateur proche du réalisateur : « Ce cher intrus », « Le chocolat », « Une vie inachevée ») qui a débuté grâce à Sydney Lumet (« Le verdict », « A bout de course ») et travaillé sur « Sixième sens » et « Barry Seal » notamment. Etonnant ! A croire qu'Andrew a adopté les tics de réalisation d'Hallström, même si ce dernier n'en possède aucun !
La mise en scène, fade, est ainsi beaucoup trop classique, elle est bateau et elle n'y croit pas, pendant les deux heures du film. C'en devient lourd, à tel point que l'on se demande si se sont les acteurs qui ont demandé à ce que la caméra les suivent dans leur interprétation au détriment de l'histoire que veut nous raconter le réalisateur de « Une vie inachevée » (avec Redford) !
Même les paysages filmés sont trop peu présents pour croire à une Amérique profonde. Argh !
Ajoutons là-dessus une musique beaucoup trop importante et redondante, l'écriture de « Gilbert Grape » ainsi que ses thèmes brassés (les blessures de la vie : mort de la figure paternel, grand frère prenant la relève, fils handicapé, ...) n'en sont que trop peu abordés (pourtant une histoire magnifique sur les résiliences de la vie) et donc vivement saccagés par une réalisation qui n'en mène vraiment pas large : un comble pour un réalisateur en herbe !
La profondeur des personnages est ainsi trop peu abordée mis à part le duo principal (DiCaprio/Depp) qui, même si le deuxième s'efface au gré d'une interprétation du personnage lorgnant entre culpabilité et responsabilité, prend quand même le temps de s'ancrer en « Gilbert Grape » grâce à la qualité d'interprétation de DiCaprio, saisissant de réalisme.
La réalisation est outrageusement mise à mal, elle est sauvée par la grande sauterelle DiCaprio !
Si, dès le départ on pouvait s'attendre à un road-movie initiatique se parant d'une ode à la vie bienfaitrice, il nous reste des séquelles de réalisation pour des tranches de vie libératrices concoctées par le réalisateur de « Chocolat » (toujours avec Johnny Depp !) et de « Casanova » (la version des 2000's).
Pour conclure, « What's Eating Gilbert Grape »(sorti en salles en 1994), de son titre originel, restera ce mélodrame languissant hors du commun signé par l'éternel spécialiste de la comédie dramatique américaine pure souche (Lasse Hallström) réunissant trois jeunes prodiges du cinéma (DiCaprio, Depp et Juliette Lewis).
Spectateurs, en-dicaprio-isez vous !