En sortant de mon visionnage, j’ai eu envie de crier : « Waouh ! ». En effet, il s’agit bien d’un coup de cœur. Ou quand le septième art déballe ses effets et nous emballe.
J’ai l’impression de l’avoir vu pour la première fois de ma vie. Après renseignement auprès de mes parents, oui, c’était bien un soir de première.
Et quel instant ! La magie est encore présente, tout comme le bonheur d’avoir assisté à un chef d’œuvre authentique.
Ici, tout est parfait.
Tout n’est que douceur, mélancolie, rêve.
Le rêve d’un soir. Un rêve éveillé.
Le rêve d’avoir aimé. Le rêve d’avoir participé à un instant unique. Une rencontre improbable et magnifique avec l’univers d’Oncle Walt.
« La belle et le clochard », c’est universel.
Il s’agit de thèmes qui parlent à tous : l’amour, la vie, la liberté, la fraternité.
Tout cela est sublimé par une des séquences animées par Frank Thomas, l’un des animateurs du film, qui a travaillé sur une séquence qui a failli être abandonnée !, devenue cultissime à souhait : le baiser d’un instant et illusoire entre Clochard et Lady lors d’un dîner aux chandelles chez Tony, le resto italien du coin, avec le boss et le commis qui jouent un jazz endiablé et endiablant (« Belle nuit »).
Ainsi dotée de ce pouvoir sensoriel divin, cette séquence résume à elle seule ce film d’animation : c’est dire si le mot mythique est faible. Tous nos sens sont captés en une fraction de seconde, telle une illusion.
C’est ça la magie Disney.
La magie Disney s’explique aussi par son équipe technique qui a pris l’habitude de travailler ensemble, mais aussi par le format utilisé par l’ensemble de l’équipe pour un rendu visuel des plus parfaits (le Cinémascope, voir plus bas).
Tout d’abord, quelle est cette équipe technique ? Je vous le donne en mille. Il s’agit des Nine Old Men. De qui s’agit-il ? Des Neuf fantastiques de l’animation. Ici, ils sont sept. L’équipe d’animateurs est donc composée de :
- Les Clark. Employé de la firme Disney pendant 48 ans, il est le superviseur/(su-‘père’-viseur) attitré de Mickey Mouse.
- Ollie Johnston. Un travail ambitieux et de longue haleine lui a valu les honneurs pour « Bambi ».
- Milt Kahl. Animateur d’humains (Pinocchio, Peter Pan, Anita et Roger dans « Les 101 dalmatiens »…), il a formé un certain Brad Bird (le fameux réalisateur des « Indestructibles », de « Ratatouille »…) à l’animation.
- Eric Larson. Embauché en tant qu’assistant-dessinateur, il recrute, à partir du début des 70’s, la nouvelle génération : Tim Burton, Ron Clements, John Lasseter… !.
- John Lounsbery. Il a travaillé sur « Fantasia », « Peter Pan », « Le livre de la jungle »… et a été nommé réalisateur sur « Les aventures de Bernard et Bianca ».
- Wolfgang Reitherman. Il a travaillé durant 47 ans dans la firme Disney en tant qu’animateur, producteur et réalisateur. Pour ce dernier poste, on lui doit « Merlin l’enchanteur », « Robin des bois », « Bernard et Bianca ».
- du fameux Frank Thomas. Grand ami d’Ollie Johnston avec lequel il a écrit « The illusion of life », la bible de l’animation, il a travaillé pendant 44 ans chez Disney.
Des Nine Old Men, sur « La belle et le clochard », il manque Ward Kimball et Marc Davis. Pour plus de renseignements sur ces révolutionnaires de l’animation, voir ma critique de « Pinocchio ».
Laissez-moi ajouter qu’il y a également Marvin Woodward, animateur chez Disney en même temps que les Nine Old Men, qui a travaillé cette fameuse animation.
Les Nine Old Men, c’est le socle pur et dur de l’image tout d’abord dessinée puis ensuite mis bout à bout pour former ces une heure quinze de métrage. Ils sont non seulement révolutionnaires, mais grâce à eux, les lettres de noblesse de l’animation ne seront plus jamais les mêmes.
Il s’agit également du premier long-métrage d’animation à utiliser le format CinémaScope, procédé visant à comprimer l’image lors du tournage pour ensuite l’étirer lors de la projection et ainsi retrouver son format panoramique.
Ainsi, il s’agit du premier Walt Disney en écran large.
Non seulement, l’animation est innovante mais elle permet un rendu visuel tout simplement révolutionnaire pour l’époque en innovant avec ce format.
Un Walt Disney innovant et qui repousse encore les limites de l’animation image par image. Un tour de force unique par les réalisateurs que sont :
- Hamilton Luske. Superviseur de l’animation sur « Blanche Neige… », il a ensuite co-réalisé « Fantasia », « Cendrillon », « Peter Pan ».
- Clyde Geronimi. Compère d’Hamilton Luske puisqu’il officie, lui aussi à co-réaliser les longs-métrages du studio Disney (« Cendrillon », « Peter Pan », « Les 101 dalmatiens »)
- Wilfred Jackson. Révolutionnaire de l’image dans le département Disney, de son arrivée (la synchronisation du son et de l’image sur « Steamboat willie », c’est lui !) en passant par les années 1940 (conception de scénario imagées miniatures pour « Mélodie du sud ») jusqu’à réaliser des séquences pour « Pinocchio », « Dumbo », « Alice au pays des merveilles ».
Au-delà de l’histoire du film (Lady qui se fait embarquer dans les aventures de Clochard à cause des chats de Tante Sarah)(façonné à l’origine par le journaliste américain Ward Greene et adapté par Disney), c’est bien entendu la magie, l’envoûtement, celui de s’être fait embarquer par la fourrière Walt Disney.
Première raison de l’embarquement obligatoire ? Le doublage français, extraordinaire, qui colle à la peau de chaque personnage : Lady, Clochard, le compagnon anglais de Lady alias César, la Dame du Crazy Horse à la fourrière (au passage, très belle parodie des défilés de couture animée par Eric Larson et doublée par la chanteuse Peggy Lee dans la version américaine !), le castor en harnais qui apporte une dose d’humour très appréciable, ainsi que les chats Siamois (très belle chanson siamoise qui donne du poil de la bête) pour ne citer que ceux-là.
La deuxième raison d’aboyer en faveur de Walt Disney ? Pour l’animation de l’image qui parle à tous. Elle est exquise, divine, ‘Princesse’ à souhait. Merci aux fameux Nine Old Men de nous en faire voir de toutes les couleurs !
S’il ne fallait que trois raisons, la troisième et ultime, c’est bien l’embaumement et l’envoûtement général de la mise en scène d’Hamilton Luske, Clyde Geronimi et Wilfred Jackson certes vieillissante, mais totalement charnelle qui fait qu’on ne peut qu’adhérer et ne pas rester de marbre face à toutes ces facéties canines d’un soir pour suivre les aventures de Lady, la pauvre mais gentille héroïne qui devient amoureuse de son compagnon le clochard.
Pour ainsi dire, c’est un rêve éveillé qu’on suit avec envie, mélancolie et harmonie.
« La belle et le clochard », c’est un enchantement universel doté d’un parfum cha(r)nel.
Un Walt Disney onirique, classieux, et qui fait aujourd’hui office de rencontre avec le cinéma d’animation d’antan.
Finalement, « La Belle et le Clochard » (1955), fabriqué artisanalement et considéré comme le quinzième grand classique Disney, est une réussite intemporelle et indémodable que je considère comme un chef d’œuvre anthologique de l’animation.
En faisant partie de l’histoire merveilleuse de l’animation, c’est un film mythique à l’image du baiser furtif entre Lady et Clochard.
Film inoubliable du septième art.
Spectateurs, ‘belle nuit’ !