Dans cette transition déterminante qu’est l’adolescence, Lara se voit affronter deux défis majeurs : l’affirmation contrainte de sa féminité, puisqu’elle est née dans un corps de garçon, et l’intégration dans une école de danse. Une lutte en deux temps : avec son futur corps qui tarde à venir, et dans l’urgence du présent qui impose une discipline de fer.
Ces deux temporalités conditionnent toute la narration. Dans une approche presque naturaliste (on pense, par instant, à cette quête de l’authenticité chère aux frères Dardenne), la répétition inlassable des mouvements lors des cours de danse rend palpable l’effort et la souffrance que génère la quête de la grâce chorégraphique. La caméra, rivée sur la jeune fille, fait presque abstraction des autres, donnant à voir davantage les coulisses physiologiques (la tension, les muscles, la performance contre-nature des pointes, l’essoufflement) que l’harmonie des gestes ou de la collectivité. (On regrettera un peu l’abus de séquences en caméra à l’épaule dans les rues, qui n’apportent pas grand-chose si ce n’est cette caution documentaire un peu trop soulignée sur ces séquences.) Girl est une immersion dans un point de vue presque unique, qui, par l’angoisse et la fébrilité, s’isole et se replie sur des thématiques qui sont pourtant crucialement celles du rapport aux autres : par l’apparence physique et la scène.
C’est sur ce nœud nerveux que se joue l’essentiel de la très impressionnante performance de Victor Polster, qui affirme simultanément une féminité solaire et la violence intense mais discrète avec laquelle elle est conquise.
Car à l’autre bout du spectre temporel se joue la question de la modification de ce même corps : le traitement hormonal, l’opération chirurgicale à venir, et l’impatience terrible que toute cette lenteur prudente du corps médical fait subir au corps en ébullition de Lara. C’est là l’occasion de la voir en famille, durant de très justes et belles scènes avec son père et son frère – et de noter l’absence jamais expliquée d’une mère qui, de temps à autre, donne à Lara un rôle qu’elle semble apprécier.
Le parti pris est évident : ne pas faire de la question transgenre un élément perturbateur au sein de la famille, un secret à garder ou une révélation fracassante. Le fait est établi, et il est accepté, même à l’école de musique où, à deux exceptions (mais de taille), la question ne fait pas véritablement débat.
La tension n’est donc pas tant à retrouver dans le regard des autres -même si, on le rappelle, il accroît évidemment les difficultés – que dans celui que la jeune fille porte sur elle-même, par un jeu savant de miroir (dans sa chambre, dans la salle de danse, dans l’ascenseur) ou des focales courtes alternant les mises au point dans les dialogues pour, souvent, en révéler l’inefficacité sur cette adolescente un peu trop butée dans ses obsessions et se rêvant trop tôt en femme. Le corps, trop inerte dans l’épanouissement féminin, devient le terrain d’un déplacement de la hargne dans le domaine de la danse, où la performance brûle les étapes et relève tous les défis, jusqu’à la déraison. Le paroxysme final, en ce sens, n’était pas indispensable dans l’évolution du récit, et tente de sur-expliciter une violence qui était déjà suffisamment et plus subtilement évoquée depuis le départ.
Ce parcours intense et le plus souvent silencieux, ponctué des paroles adultes toujours bienveillantes, parvient donc à construire une quête intense, émouvante mais, surtout authentique et humaine, émaillée de ses excès et ses revendications universelles : l’affirmation de l’individualité, qui ne peut se faire sans l’harmonie avec son corps.
(7.5/10)