Lara est jolie. Avec de longs cheveux blonds. Pendant les premières minutes de Girl, si l'on croisait son profil, on se retournerait sur elle dans la rue.
Et puis l'on parle d'inhibiteurs d'hormones.
Et puis, après un bref passage chez le psychologue, bienveillant tout en allant droit au but, on se rend compte que Lara est un garçon.
On se rend compte que Lara est au milieu du guet. Elle est plate. Mais son visage exprime une féminité évidente.
Par un seul physique et quelques mots, on mesure à quel point Lara est dans l'entre deux. Un sentiment de féminité pris au piège dans un corps d'adolescent. qui ne lui correspond pas. Et soudain, la douleur de retirer le scotch de son pubis. La peau rougie qu'elle martyrise. Et de voir dans le miroir un corps de jeune homme, baigné presque constamment d'une lumière chaude d'un cocon quasi protecteur.
Lara veut devenir danseuse étoile. Elle maltraite et contraint son corps de manière classique, comme dans Black Swan, avec les ampoules, le sang, les blessures, les pansements et les ongles noirs aux pieds. Dans une parabole jamais lourde qui pousse à réfléchir sur les tourments qui l'animent.
Pourtant, Lara est soutenu par son père, doux, compréhensif, et maladroit, tout cela à la fois. Cette relation parent / enfant est juste, émouvante, sincère, magnifique. Un père qui s'inquiète pour elle, qui sent que les sempiternels "ça va" de sa fille cachent des appels au secours.
Avec Girl, Lukas Dhont ne pose pas la question du pourquoi, de la racine de cette volonté de s'accomplir de manière intime, de ce désaccord entre le corps et le soi profond. Il ne convoque jamais le pathos, l'intolérance systématique ou la souffrance insondable et sans retour. Encore moins le combat acharné, hargneux et revendicatif du seul contre tous caractérisant aujourd'hui la minorité. Il n'en a nul besoin.
Car Lara ne veut pas être un exemple. Car Lara, dans Girl, ne devient pas une fille. Elle EST une fille. Elle ne s'engagerait pas dans un processus de transition qu'elle le serait quand même. Qui traverse les changements de l'adolescence, comme toutes les autres filles.
Lukas Dhont immerge "seulement" son spectateur dans des morceaux de vie : à l'école, à se faire mal en cours de danse, chez les médecins qui la suivent, dans sa vie quotidienne avec son père et son petit frère dont elle prend soin. Et dans ses moments de solitude ou devant le miroir, dans ses larmes, ses impatiences, ces incertitudes et ses appréhensions. Girl filme ses progrès, son adolescence presque comme les autres, tantôt cruelle, tantôt douce, terriblement normale. Jusqu'à dépasser la simple question particulière de la transidentité pour la porter de manière fulgurante à l'universalisation de son propos. Comme si Lukas Dhont ne faisait que traiter, finalement, une énième chronique de l'adolescence et du cap qu'elle représente : la difficulté à grandir, à s'accomplir, à décider de ce que l'on veut être.
Girl aurait pu être assommant, moralisateur, lourdement didactique et sérieusement édifiant. Mais Girl est tout simplement beau, tendre, émouvant dans son propos, portant un espoir de paix avec soi-même qui peut être atteinte, un optimisme que l'on n'aurait jamais cru possible dans une telle oeuvre.
Girl est d'une sensibilité bienveillante et à fleur de peau, qui se fraie un chemin tout droit vers le coeur avec une simplicité désarmante.
Behind_the_Mask, trans-formation.