Cave ne cadas
Difficile de parler aujourd’hui d’un film qui a très longtemps été mon film préféré. Ça devait bien faire sept ans que je n’avais pas revu « Gladiator », l’un des films les plus importants de la...
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le 14 août 2015
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Lorsque Gladiator est sorti aux États-Unis le 5 mai 2000, c’était un pur pléonasme de dire que le péplum était un genre bien moribond. Relégué à une époque révolue à savoir les années 1950-1960 et à un cinéma de papis, le genre considéré comme ringard n'intéressait plus l'industrie hollywoodienne. Il en fallait cependant plus pour décourager le scénariste David Franzoni qui après avoir découvert le roman Those About to Die ( 1958 ) de Daniel P. Mannix se fascine pour cette période historique et décide de porter haut et fort le projet d’un scénario inspiré. Le bébé arrive dans les bras de DreamWorks SKG bien aidé par l'appui d'un Steven Spielberg pour qui le potentiel de l’œuvre était certain. Le studio convainc rapidement Ridley Scott de la mettre en boîte, lui aussi séduit par la puissance émotionnelle du récit. Un choix incompréhensible pour la presse spécialisée qui prendra un malin plaisir à défoncer le réalisateur et le projet d'autant qu'il y avait devant la caméra des acteurs relativement jeunes.
Au final Scott impressionne et parvient admirablement à s'emparer des codes de l'antique genre et les modernise sans jamais les renier. Absolument tout y est : les décors colossaux et démesurés témoins de la grandeur de la civilisation romaine, des batailles spectaculaires, surtout la séquence d'ouverture, qui se resserreront ensuite dans l'arène ainsi que les intrigues impériales dans lesquelles se mâtinent complots, jeux de pouvoir et politique. Un aspect davantage mis en avant dans la version longue que j'ai découverte lors de ce nouveau visionnage. Celle-ci ne change fondamentalement pas le ton et la portée du métrage mais s'émancipe quelque peu du personnage de Maximus pour s'intéresser à d'autres protagonistes. Loin d'être inintéressante bien au contraire j'ai néanmoins une préférence pour la version cinéma au rythme plus resserré et sauvage qui se consacre uniquement à la vengeance du guerrier Maximus.
L’histoire avec un petit h tout le monde la connaît sans aucun doute. Le plus grand et vaillant général romain Maximus, favori et fils spirituel de l'empereur Marcus Aurelius est déchu et devient un gladiateur après la trahison de Commodus, l'usurpateur du trône de Rome. Ce-dernier tue son propre père Marcus Aurelius et devant le refus d’allégeance du général, tente d'assassiner celui-ci avant de mettre à mort sa famille. Survivant, Maximus va devoir trouver son chemin jusqu’à Rome pour faire payer son ennemi, un chemin sanglant qui passera par l'arène. Un scénario très fortement marqué par la tragédie aux accents classiques dans sa dimension shakespearienne. Maximus est l'archétype du héros modèle. Il est loyal, vaillant, fort au combat, respectable et inspirant pour ses hommes. Il se bat pour la grandeur de Rome mais aussi pour l'amour de sa famille en mari et père aimant. Il est trahi par un personnage cruel, empereur usurpateur tyrannique coupable de parricide qui en devient sa Némésis. Cet homme méprisable est rongé par un besoin inconditionnel d'amour et est victime de ses complexes, tiraillé par ses pulsions, allant même jusqu'à désirer sa propre sœur. L'épopée de Maximus rappelle instinctivement les grandes figures de Shakespeare telles que Macbeth ou Hamlet bien sûr et son aventure est traversée par le deuil, la perte et la quête de sens dans un univers corrompu et décadent. Il y a dans ce sens une réflexion sur plusieurs thématiques qui est amenée, la liberté, le pouvoir, la vie ou la mort ici vue non pas comme la fin de quelque chose mais comme la possibilité de retrouver ses proches et d'enfin vivre en paix et en harmonie. Un héros vit ainsi aussi longtemps que le souvenir de ses actions. Maximus le dit lui-même "What we do in life echoes in eternity". Faire mourir son héros est par ailleurs un parti-pris fort émotionnellement parlant surtout pour un film de cette envergure.
L'affrontement entre Maximus et Commodus n'est pas qu'une lutte pour la liberté, c'est surtout une confrontation entre deux visions de l'humanité. C'est l'honneur contre la décadence, la dignité contre le pouvoir fou. Évidemment cette lutte passe par une interprétation puissante et il faut rendre hommage à Russell Crowe ainsi qu'à Joaquin Phoenix. Le premier livre une performance inoubliable, à la fois stoïque et bouleversante. Il ne peut qu'accepter la fatalité de son destin et décide de tout mettre en œuvre afin d'accomplir sa vengeance même s'il doit tuer tous les adversaires qui se dressent face à lui. Le succès était loin d'être acquis d'avance car l'acteur néo-zélandais n'était pas du tout convaincu par le script et les dialogues qu'il jugeait risibles. Le fameux "I will have my vengeance, in this life or the next" pourtant culte a ainsi failli ne pas voir le jour.
Face à lui le second acteur n'est pas en reste. Joaquin Phoenix est glaçant et parvient à rendre tangible la névrose absolue de son personnage résolument plus théâtral que cinématographique qui semble émaner d'une tragédie élisabéthaine. C'est vraiment sous ce prisme qu'il faut aborder le métrage et cela vient de plus légitimer toutes les libertés prises avec l'Histoire qui se mettent au service du sens romanesque et de l'émotion.
Au-delà de son souffle narratif et de son intensité dramatique, Gladiator est aussi une œuvre fondatrice sur le plan technique. Tourné à une époque charnière qui a vu le numérique s'insérer petit à petit dans le septième art, le film joue avec tous ces outils novateurs pour redonner vie à cette Rome antique et reconstituer toute sa grandeur. La pièce maitresse est en toute logique le Colisée recréé à l’échelle 1/3 lors du tournage du film et prolongé tout comme le quartier avoisinant par des effets numériques pour étendre son espace et approfondir les perspectives. Cela donne l'impression que les gradins sont infinis et rend l'atmosphère écrasante et oppressante. Rarement Rome n'aura semblé aussi monumentale sans jamais pour autant que l'ensemble ne cède à une quelconque forme d'artificialité.
L'un des aspects les plus discutables du film reste cependant la reconstitution numérique d'Oliver Reed décédé brutalement dans un pub durant le tournage. Ridley Scott utilise la technologie pour prolonger la présence de l'acteur à l'écran en utilisant de prime une doublure puis en procédant à des retouches faciales ainsi qu'à des manipulations numériques. Un processus alors pionnier et aujourd'hui exacerbé qui soulevait déjà des questions éthiques sur la place des acteurs et leur image après la mort. Dans un autre style le flou et le ralenti sont utilisés à plusieurs reprises lors des séquences d'action et participent à la distanciation de la violence qui devient un spectacle, une hallucination ainsi qu'une perte de repères pour Maximus. Le spectateur n'est ainsi pas plongé dans ces jeux barbares mais il en devient témoin à part entière. L'image devient à son tour un acte tragique.
Enfin il faut mentionner la B.O somptueuse de Hans Zimmer au sommet de son art. Le compositeur n'a pas toujours été inspiré et son art tellement plagié, parfois de son propre chef, qu'il en devenait indigeste. Malgré tout il excelle ici et sa musique envoutante vient souligner tout le caractère funèbre à l'image du thème "Now We Are Free".
Un quart de siècle après sa sortie, Gladiator n'a rien perdu de son sens du spectacle et de sa portée tragique. S'il a rencontré instantanément le succès c'est davantage encore son héritage et le fait d'avoir ressuscité un genre d'entre les morts qui auront construit sa légende et inspireront multiples œuvres et créateurs successifs. Le péplum est mort, vive le péplum !
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le 6 avr. 2025
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