Ridley Scott a bientôt 87 ans. Il a derrière lui une carrière prolifique, et même prestigieuse si on la réduit à quelques films majeurs, la plupart dans ses premières années. Après avoir développé l’univers d’Alien dans la franchise que l’on connait, et décliné Blade Runner (en tant que producteur), le voilà donc de retour pour un nouveau recyclage, celui de son très populaire Gladiator.
Rien de nouveau, donc, que ce soit en termes d’audace créative ou de griefs à faire à un film qui reproduit mécaniquement toutes les limites des précédents. Le nouvel opus vit évidemment dans l’ombre de son premier, qu'il cite abondamment, dès un générique peinturluré assez laid, cherchant vainement à en convoquer le souffle perdu. Quelques images, une armure, une devise, et, vers le dernier tiers, la musique iconique suffisent à expliquer toute la faiblesse du projet, les yeux rivés vers une gloire passée. Le scénario, qui s’inscrit scolairement dans le sillon initial, reproduit donc les sacro saintes étapes : mort de l’épouse (qui, 2024 oblige, est désormais une guerrière et non une housewife passive), visite express dans l’au-delà, vague entraiment et arène grandiloquente, en interaction avec des complots fétides dans une empire malade.
Scott ne se contente pas de livrer une pale copie du modèle : il reproduit aussi les défauts de ses films plus récents, à l’image du récit tronçonné et dénué de dynamique qui gangrenait son Napoléon. Les séquences s’enchainent mécaniquement, conscientes de s’adresser à un spectateur ayant probablement une bonne connaissance du récit d’origine, et dans la plus détestable tradition du fan service : reproduire des scènes en ajoutant quelques ingrédients histoire d’épicer la sauce. Soit des singes plus proches du xénomorphe que d’un animal exotique, ou des requins au sein d’une arène, et oui, Shark peplum, on nous l’avait pas encore faite.
Un seul combat semblait prometteur, celui en comité restreint où le mobilier explose devant les empereurs : un peu de brutalité, un espace bien maitrisé attestent d’un savoir faire toujours bien présent chez le cinéaste. Mais qui sera très vite dilué dans une grandiloquence superfétatoire avec point de vue subjectif de rhinocéros, et gore graphique numérique de décapitation, amputations ou jets de sang parfaitement inoffensifs.
Il ne faudra pas compter sur les personnages pour épaissir les enjeux : Paul Mescal, tout en pectoraux et d’une fadeur extrême, passe d’une conviction à l’autre sans qu’on comprenne pourquoi, si ce n’est pour satisfaire au scénario et tenter d’émouvoir pour des morts qui laisseront de marbre. Les autres, par contrepoint, cabotinent à l’envi pour surjouer la déliquescence d’un empire (des jumeaux palots avec un singe) ou les affres de la vengeance (Denzel sourit de toutes ses dents et frotte ses doigts), tandis que le personnage féminin nous apprend que la chirurgie esthétique faisait déjà des ravages avant l’arrivée de JC. Pour les filmer, rien de plus simple : un contre champ sur leur réaction au spectacle de l’arène suffit, et les voila caractérisés : sadisme des empereurs, jubilation du propriétaire vénal, scrupules du général humaniste, empathie de la mère éplorée. Emballé, pesé.
On ne cesse, durant le film, d’évoquer l’idéalisme politique de Marc Aurèle, qui avait rêvé une Rome meilleure, d’avant la décadence et le pourrissement par les intérêts personnels. Il est probable que Scott fantasme un projet similaire, en retournant à ce point à la grandeur originelle de son cinéma, et la désillusion est d’autant plus cinglante qu’il ne semble toujours pas avoir ouvert les yeux sur les tristes effets d’un tel acharnement.