En prévision de cette suite annoncée avec tambours et fracas, t’as rematé l’autre jour Gladiator qui, à l’époque déjà (en 2000), t’avais sérieusement barbé, mais t’avais gardé ça pour toi parce qu’autour de toi c’était l’euphorie critique et que t’avais pas envie de jouer les rabat-joie. Presque 25 ans plus tard, t’en as clairement plus rien à foutre de l’avis des gens (et des gens en général), et donc quand t’as revu Gladiator, ça été encore pire que la première fois. Russell Crowe est juste agaçant avec son air contrit de mec intègre et valeureux rongé par le chagrin. Joaquim Phoenix cabotine mal. La narration est poussive, les ralentis moches, la musique de Hans Zimmer insupportable (pléonasme), les intrigues de palais ennuyeuses, il y a finalement peu de combats, la dramaturgie et l’émotion tombent constamment à plat, et t’en peux vraiment plus de ces images à la con de mains caressant du blé ou des fleurs ou des brins d’herbe sur fond de world music ringarde. Bref, t’as revu Gladiator et c’était pas glorieux.
Qu’attendre donc de cette suite ? Et pourquoi t’infliger ça ? Plusieurs indices : séance gratuite, Paul Mescal, Pedro Pascal, Denzel Washington, John Mathieson à l’image et puis bon, Ridley Scott quoi, capable du meilleur (Blade runner est dans ton top 10, et il n’y a pas une semaine où tu ne te regardes pas la scène d’ouverture ou la mort de Roy Batty) comme du pire. Sans problème, tu échanges dix Gladiator (surestimé à mort) contre un Traquée (sous-estimé à mort). Spectacle bourrin complètement jouissif, Gladiator II ne cherche même pas à se donner un semblant de sérieux que le premier opus, lui, tentait vainement d’afficher. À bientôt 87 ans, décontracté du plan et envoyant balader la cohérence historique, Scott s’en donne à cœur joie dans la surenchère costaude à l’image de Mescal qui, visiblement, a explosé son abonnement chez Basic Fit. Mais la jupette et les muscles lui vont bien, alors on admire le travail même si on le sent plus à l’aise dans l’intimiste (Aftersun, Sans jamais nous connaître) que dans la grosse machinerie hollywoodienne.
Surenchère donc. Surenchère de combats navals (dont une naumachie) et de luttes dans le Colisée avec requins qui ont la dalle, rhinocéros balaise et babouins transgéniques. Surenchère de sang qui gicle, de méchants qu’on dirait échappés d’une soirée gay costumée (Denzel en mode camp, ça vaut le détour) et de musique tonitruante plaquée sur quasiment chaque scène. Et puis surenchère esthétique aussi avec décors grandioses et effets visuels oscillant entre l’acceptable et le n’importe quoi. D’ailleurs, quitte à passer pour un boomer (mais ça aussi tu t’en fous), tu feras remarquer que c’était quand même «mieux avant» et que ce digital à outrance, lisse et désincarné, ne vaut rien face au souffle épique d’un Ben-Hur ou d’un Cléopâtre.
Côté scénario en revanche, c’est là que ça coince. Vague resucée de Gladiator, le récit de Gladiator II (qui a connu un développement de plusieurs années et de multiples réécritures, dont une de Nick Cave qui partait dans le mystique fumeux façon The fountain) en reprend le même schéma narratif. Soit bataille mastoc, mort de l’épouse adorée, case prison, vengeance, entraînement, affrontements dans l’arène, complots politiques et bouquet final. La routine. Le petit plus ? C’est évidemment l’identité secrète d’Hanno/Lucius qui, animé d’une rage sans limite, va chercher à éliminer le général Acacius, responsable de la mort de sa dulcinée et nouveau soupirant de sa mère, le tout sous l’égide du roublard Macrinus qui ourdit dans l’ombre.
Dommage que cette dynamique infernale entre ces quatre-là (auxquels on pourra associer les empereurs Geta et Caracalla) se perde dans une écriture quelconque réduisant ses enjeux à du remplissage pseudo dramaturgique coincé entre deux scènes de castagne. Et qui, en fin de parcours, sort l’artillerie lourde avec grands discours sentencieux sur l’honneur, la bravoure et ce vieux rêve de Marc Aurèle qui aspirait à une Rome idéale, sans violence ni injustice. Le film aurait dû, à la rigueur, assumer jusqu’au bout son côté barbare et rentre-dedans, évacuer le superflu pour oser un carnage flamboyant sans psychologie de bazar ni imbroglios au Sénat. Oser une démesure radicale comme Scott avait su le faire avec Hannibal en préférant, à un nouveau thriller psychologique attendu, une sorte de messe noire ultra stylisée. En l’état, Gladiator II n’est qu’un divertissement XXL bâtard et prémâché, mais dont on ne saurait bouder les plaisirs primaires.
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