L'applicabilité réside dans la liberté du spectateur, l'allégorie dans la domination de l'auteur

(Citation titre de JRR Tolkien)


Shyamalan, bien que je ne connaisse finalement qu'assez peu sa filmographie, semble faire partie de ces réalisateurs en recherche constante du bon équilibre entre divertissement et sous-texte. Une façon d'éduquer son spectateur insidieusement propre à l'art, et particulièrement au cinéma. Glass n'échappe pas à la règle, proposant une réflexion sur l'époque dans laquelle il s'inscrit, et plus particulièrement sur le médium cinématographique lui-même.


Kevin Crumb est le "personnage-film", celui dont les multiples personnalités font écho aux infinies possibilités de l'oeuvre artistique. David Dunn est le réalisateur, celui qui tente de maîtriser l'oeuvre pour lui donner la direction souhaitée (la psychiatre ira jusqu'à lui dire "You make the picture" durant le film). Elijah Price et Casey Cooke sont les spectateurs : les deux cherchent dans Kevin un exutoire à leur souffrance. Mais là où Elijah veut se conforter dans son fantasme, Casey trouve dans Kevin une connexion qui ne permet pas de faire de sa souffrance une force personnelle, mais de l'accepter pour ce qu'elle est afin d'en faire une force pour l'autre.


En ce sens, Shyamalan cherche avant tout à définir le devoir moral de l'artiste. La Bête devient synonyme d'oeuvre sans contrôle, juste bonne à nourrir les fantasmes inatteignables du spectateur (il est d'ailleurs intéressant de noter que la Bête est libérée par le personnage-spectateur Elijah, comme si le spectateur ne pouvait avoir le recul inhérent à l'artiste afin de créer un art moral. Mais la fin du film donnera un peu plus d'épaisseur au propos). Cette idée rejoint également le propos en début de film sur le "divertissement-internet", soit un divertissement sans aucune valeur émotionnelle, discours qui trouve résolution en fin de film par la capacité de l'artiste à créer quelque chose d'exceptionnel, en opposition à l'ordinaire, dans un but de stimulation intellectuelle et émotionnelle.


On regrettera cependant l'incapacité de Shyamalan à fondre en une entité unique son divertissement et son sous-texte. C'en est presque condescendant : le divertissement doit rester dans la formule pour réussir (les commentaires méta de Elijah, de plus en plus agaçant à mesure qu'ils deviennent plus présents, malgré le fait qu'ils soient contredits par le film), et le sous-texte ne peut que s'additionner à cette formule plutôt que de s'y introduire pleinement pour la nourrir émotionnellement. Ainsi, on ne plongera jamais réellement dans ce film par son envie de nous dire son propos, plutôt que de simplement nous le démontrer par le divertissement, et non pas en dépit de lui. Le film présente d'ailleurs un monde assez plat : à aucun moment on ne sent le monde proposé vivre en dehors de ce que le réalisateur cherche à nous communiquer comme idée (exception faite pour le surjeu total de McAvoy qui fait un bien fou au film).


Une démarche trop intellectuelle, et finalement assez ironique pour un réalisateur qui semble vouloir nous communiquer le caractère insaisissable de l'artiste. Il aurait été bon de se souvenir qu'une oeuvre se doit de faire du spectateur un artiste par sa capacité à émouvoir d'une nouvelle manière, pas seulement pour le propos final mais pour le film en lui-même. Ce que Glass ne parvient pas à accomplir, ou trop peu.

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le 23 janv. 2019

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