Par Yal Sadat
Pas de fausse modestie derrière le titre : on a bien affaire à un bouquet de "tales", historiettes sans grands enjeux centrées sur un cabaret du pauvre au bord de la banqueroute. Sur scène, Ray Ruby, manager anguleux, se démène pour sauver les apparences. Dans les loges, les filles attendent des chèques qui n'arrivent pas, puis se cambrent sous les yeux de Chinois patauds enfoncés dans des fauteuils pourpres. La proprio, hideuse mamie déshydratée, squatte le bar en menaçant à tout-bout-de-champ de transformer le "Paradise" (c'est le nom ironique de ce club vivotant) en "Bed, bath & beyond". Voilà à quoi tient Go Go Tales : un florilège de gesticulations, de querelles de concierges et d'anecdotes de bas étage qui, sur le papier, évoquent davantage la chronique bukowskienne que les hauteurs enfiévrées auxquelles Ferrara nous avait habitués. Et pourtant, le film est scellé de l'inquiétude de son auteur, tant dans son filmage impulsif que dans son pessimisme insidieux.
C'est que les "contes" en question ne s'occupent pas seulement de folie ordinaire : il s'agit de contes de fée pour de bon, de conversations entre un pécheur (autrement dit, chez Ferrara, un "loser" élégant et reptilien - Willem Dafoe resplendit à nouveau dans ce costume) et la fortune, bonne ou mauvaise ; d'un arrangement entre ses petites manigances et l'oeil mauvais de la culpabilité. De ce point de vue, Go Go Tales a moins à voir avec Meurtre d'un bookmaker chinois, référence inévitable (surtout pour le spectateur des salles françaises, qui le découvre en portant le deuil de Ben Gazzara) qu'avec la comédie classique façon Capra ou Lubitsch, sensiblement détournée : le destin calculateur qui hier se jouait du vertueux James Stewart plane également au-dessus du crapuleux Dafoe. La chance obsède Ray Ruby, pauvre diable qui tressaille dans sa veste porte-bonheur dès qu'il entend le mot « luck ». Cupide, il n'en est pas moins amoureux transi de son enseigne, d'où une dualité chez lui entre dévotion et parades de faux-cul (dualité criante dans une superbe séquence, qui le voit interdire à une danseuse enceinte de raccrocher tout en feignant de goûter l'heureuse nouvelle). A mi-parcours, il trouvera même le salut - provisoirement - en gagnant à la loterie grâce à ses magouilles. Là où les boyscouts de Capra s'apercevaient que les bonnes étoiles étaient trop lourdes à porter pour un seul homme, le problème ici ne vient pas du zèle humaniste du héros, mais de l'étoile elle-même, pourrie de l'intérieur : Ruby découvre vite que le seul ange gardien qui vaille, à New York, c'est le capitalisme. (...)
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