Le rapport complexe de l’homme à la nature n’est probablement jamais aussi bien exprimé que dans le récit de la colonisation : espace de conquête, le paysage est alors un territoire à investir, une force hostile qu’il faudra soumettre à ce que l’individu a défini comme la civilisation.
Godland suit ainsi l’arrivée d’un pasteur danois en terre islandaise, avec pour mission de construire une église avant l’arrivée des premières neiges. Pétri de conviction et de foi, le jeune homme traverse donc une île à la splendeur sauvage, où tous les éléments exacerbés semblent conjurés pour ralentir sa trajectoire : la fertilité des landes côtoie la glace tranchante, les ravins escarpés se perdent dans la lave, et les rafales de vent chantent en continu l’inhospitalité de cette beauté fatale.
On retrouve, dès cette première heure dédiée au voyage, l’âpre intensité du cinéma d’Herzog (Aguirre n’est pas loin), ou le sens contemplatif d’un Lisandro Alonso et son hypnotique Jauja : Lukas avance, au mépris du danger, dans une conviction assez proche du fanatisme, et perd déjà en route des lambeaux d’humanité. Car le colon n’est pas seulement un homme de Dieu : il documente aussi son voyage, armé d’un appareil photo qui fige ses compagnons de route et des paysages qui justifie un format 1.33 matérialisant un rapport au monde presque primitif : étroit, au grain prononcé, dans ce regard pionnier du conquérant déjà conscient des limites de son pouvoir.
L’esthétique d’Hlynur Palmason prend le pouls de cette minéralité : les mouvements d’appareil sont lents, les panoramiques se mettent au diapason d'un périple où la souffrance prend acte de la misérable fragilité humaine, dans une humilité du regard qui donne sa pleine puissance à des espaces qui se passent aisément de sa présence.
La deuxième partie consacrée à la construction de l’église confrontera le pasteur à Ragnar, le taiseux local dans un duel mal assorti, où le sens de la collectivité ne viendra nullement compenser l’hostilité des lieux. Cette exploration primaire convoque autant le caractère sensitif et farouche des protagonistes de La leçon de Piano que toute la mythologie du western, où la charpente d’un bâtiment sacré (un motif cher à John Ford) vient établir, avec une certaine illusion, les fondements d’une civilisation. Ici, la seule évidence est celle d’une carcasse de cheval se décomposant au fil des saisons, et les irruptions de vie offrent quelques traces de sourire ou d’élans qu’il faut chérir comme des parenthèses fugaces : une jeune fille qui danse, une séance de lutte pour s’intégrer, et la volonté toujours tenance de capturer cette fascinante symbiose des hommes et de leur espace, à travers des portraits photographiques qui figent un temps cette lute presque abrutie pour la survie.
Le récit, loin d’être un parcours initiatique ou le trajet d’une conquête, sera au contraire le terrain d’un affrontement : contre les forces sourdes du monde, l’hostilité de son prochain, et surtout ses propres instincts, déchaînés face à l’adversité, qui noieront dans la boue et la roche les idéaux théoriques qu’avait prescrits la mission initiale. Ne restera que l’engrais futile des corps sur l’infini et indifférent cycle des saisons.