Dans une vie de cinéphile, il y a ces visionnages de films qui sont prévus depuis bien longtemps et il y a également ces heureux paris cinématographiques que l'on lance un peu au hasard, par pur plaisir de jalonner des contrées du 7ème art pour l'instant peu visitées et/ou tout simplement parce que le blu-ray en question était dans notre champ de vision au moment opportun.
Godspeed (du taiwanais Chung Mong-Hong) appartient à cette seconde catégorie. Il est vrai que cette œuvre est un des petits chouchous du génial éditeur Spectrum films et que l'une des phrases d'accroche a de quoi faire saliver : "le film fait penser à du Johnnie To joué dans une vitesse différente" (screendaily.com). Mais il n'est pas rare que l'enthousiasme des uns soit la douche froide des autres. Qu'en est-il pour moi ?
J'ai adoré Godspeed du début à la fin, tout simplement ! Et les raisons de cet amour sont nombreuses.
Il y a en effet un peu de Johnnie To période Election (magnifique diptyque) dans cette galerie de personnages du gangstérisme ou des milieux interlopes. On retrouve en partie les explosions de violence, les jeux de pouvoir et les différentes missions qui remplissent la vie de ce microcosme.
J'ai aussi et surtout trouvé qu'on pouvait y voir du Frères Coen avec des personnages de losers particulièrement hauts en couleur, dépassés par des événements plus grands qu'eux et par ce maudit hasard qui détruit même les plans les plus aboutis.
Si le film dispose d'un faux-rythme bien à lui, il me semble que cela ne joue absolument pas en sa défaveur pour la simple et bonne raison que Godspeed regorge de détails savoureux, de dialogues parfois bien plus puissants ou forts de sens que les simples scènes d'action. Surtout, l'œuvre est hypnotique tant elle est belle. Le réalisateur est loin d'être un manchot et cela aide forcément mais il faut à mon sens encore plus insister sur l'incroyable force des décors, qu'ils soient extérieurs (Taiwan et son mélange d'urbanité folle et de nature sauvage, encerclant des routes sans fin) ou intérieurs (un bowling désaffecté qui sert de repère de gangsters, un cinéma vétuste en Thaïlande qui rappellerait presque la salle inoubliable du Goodbye Dragon Inn de Tsai Ming-liang).
Tout le casting est merveilleux et on retrouve des gueules du cinéma asiatique qu'on ne croise pas tous les jours tels que l'acteur thai qui jouait le flic corrompu dans Only God Forgives de Refn (Vithaya Pansringarm), par exemple. Mais c'est surtout un Michael Hui en total contre-emploi qui impressionne dans ce rôle tragicomique d'un chauffeur de taxi qui a vu sa vie lui filer entre les doigts alors qu'il faisait tout pour la gagner en accumulant les courses et en venant s'installer à Taiwan. La relation que son personnage noue avec Nadow (l'impeccable mais moins connu Lin Na-Dou) est belle car sincère et loin d'être évidente dès le départ. Elle participe à la fois du pan le plus dramatique et de la partie la plus comique du film alors que l'aspect plus classiquement polar est assuré par d'autres et fonctionne très bien aussi (je ne verrai plus jamais les casques de moto de la même façon ...).
Je ne sais que rajouter à ma critique bordélique, surtout qu'elle a été écrite uniquement parce que les retours sur le film sont trop rares et que Godspeed mérite bien plus d'enthousiasme à son égard. Je souhaite éviter à tout prix de vous déflorer l'intrigue et le plaisir de la découverte mais il me semblait essentiel de vous parler de cette oeuvre de Chung Mong-Hong parce qu'elle a été une très belle surprise et que je suis à peu près certain qu'elle pourrait être celle d'un grand nombre d'autres cinéphiles, à la recherche de films à la tonalité atypique et assumée, mélangeant les genres (polar, comédie, road-movie) avec bonheur et talent.
*Citation venant d'un proverbe arabe.