Faisons un voyage dans le temps dans notre imaginaire, voulez-vous ? Vous êtes en 1954, à Tokyo. Vous êtes un Japonais lambda, un monsieur-tout-le-monde qui va au cinéma pour se divertir. Vous achetez un billet pour un film de monstre : l'histoire d'un énorme dinosaure sorti de l'eau qui ravage une ville niponne. Vous avez vu des habitations dévastées et des gens terrorisés, un message anti-nucléaire, et également un saurien haut de cinquante mètres qui crache un rayon thermique, et vous êtes resté sur le cul.

On peut se dire qu'aujourd'hui, à l'heure du numérique et des films avec un budget dépassant les centaines de millions de dollars, plus rien ne pourrait nous impressionner. Et pourtant, il existe des miracles...


Sorti de nulle part, Godzilla Minus One marque le retour au Japon du plus célèbre des Kaiju. Après avoir été transformé en divertissement tout public par les Américains, il revient sur son archipel natal pour fêter son soixante-dixième anniversaire.

Le film commence à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, sur une petite île au large du Japon. Shikishima, pilote d'avion kamikaze, faint le problème technique pour échapper à son funeste destin. Durant la nuit, l'île est attaqué par une créature écailleuse gigantesque qui ravage la base aérienne et tue presque tous les militaires présents. De retour dans sa ville natale, Shikishima, tentant de reconstruire sa vie, est hanté par les évènements de cette nuit fatidique, ainsi que par des remords concernant son honneur de soldat. Mais il n'a pas le temps de respirer que déjà, le terrible Godzilla menace les villes côtières du Japon.


La franchise Godzilla a divergée au fil du temps : d'abord fable contre les dangereux progrès scientifique, puis licence remplie de monstres en plastique querelleurs, puis Blockbusters assumant à moitié leur côté nanar. Et alors qu'Universal faisait mumuse avec le gros dinosaure, la Toho, société mère de Godzilla met fin à la récréation. Ce nouveau film se veut un retour aux sources, un rappel de ce qu'est réellement Godzilla : une menace, symbole de l'arrogance et de la violence des hommes, face à une nature incontrôlable.


J'avais bien aimé le film de 54, mais peut-être est-il un peu trop naïf; moderne mais encore empreint des films de monstres à la Beast from 20 000 Phathoms et autres dinosaures en jouets du Monde Perdu. Mais la Toho a ouvert la voie à la maturité des monstres, en leur créant un roi, indestructuble et féroce. Et ce Gojira Mainasu Wan dégage la même aura : a un époque où les monstres et créatures grandioses sont devenus fréquentes, le film parvient à créer de l'émerveillement, ou plutôt de l'angoisse.

Avec "seulement" quinze millions de dollars, le film nous offre un monstre peu présent mais terrifiant. Il a un design très similaire à celui du film original, et bien qu'il ne s'agisse pas d'un costume, il a un corps très rigide, avec un visage peu expressif, des yeux vides, et une peau rugueuse comme des cratères. Difficile de trouver une telle créature attachante, et c'est très bien ! Il faut craindre un monstre, pas être ami avec lui !


Ce qui est attachant en revanche, ce sont les personnages. Et si vous avez lu mes chroniques sur les Godzilla du MonsterVerse, vous savez à quel point je déteste ces personnages humains. Mais là, non, ils sont géniaux. Le fait que le monstre vedette soit peu présent, peut sembler être un défaut, mais bien au contraire, il permet d'approfondire chaque humain présent à l'écran. L'évolution du héros, son parcours, ses recontres et son choix, en font un personnage très bien écrit. Ancien soldat déshonoré, tentant tant bien que mal de reprendre une vie normale, ce qui est bien compliqué quand on est au bord de la névrose !

Car le point fort de ce film, c'est qu'il réussit là où la plupart des films de la franchise ont échoué : proposer un scénario global cohérent, avec des sous-intrigues et des rapports entre les protagonistes qui tiennent la route. L'aspecte uchronique de ce Japon en pleine reconstruction devant déjà faire face à une menace, abandonné par les USA et devant seulement compté sur le courage de ses volontaires, a quelque chose de glorieux et de fascinant; comme un film de propagande venu d'un univers alternatif. C'est non seulement un film de monstre de qualité, mais c'est un aussi un drame de qualité !


Et c'est même plus que ça, car Takashi Yamazaki réussit a mélanger les genres filmiques avec une aisance hors du commun. Il y a des éléments de drame social et de science-fiction bien sûr, mais aussi de film de guerre (batailles grandioses), au film d'aventure (la scène en bateau évoque Les Dents de la Mer) et il y a même un minuscule taux de comédie très discret, mais qui marche ! Wow, c'est ouf de se dire que tant d'émotions et de styles peuvent être abordés dans un film Godzilla et qu'en plus ça marche du tonnerre !

La forte séparation qui démarque ce film de ses pairs, c'est aussi sa réalisation et son montage. C'est quelque chose qu'on a tendance a oublié tant les Blockbusters et films d'action récents sont formatés, mais comparez ce film avec Godzilla x Kong sorti il y a peu, vous noterez une claire différence ! Yamazaki et son équipe ont misés sur un montage peu agressifs, avec des plans qui nous laissent le temps de tout bien voir, même pendant les scènes d'action. L'attaque du Destroyer par Godzilla par exemple, ou l'attaque de Ginza, sont filmés de manière presque posées, pour suivre la lente démarche du monstrueux colosse. Ça permet de rendre le monstre plus menaçant, il avance lentement mais sûrement, ne laissant derrière lui que désolation. Les ralentis aussi, sont très bien utilisés, tout comme certains moments de silence.

Et il y aussi cette musique, du miel pour les oreilles ! Enfin une ré-orchestration du thème original ! Avec ses violons qui martèlent nos tympans, symbolisant la menace de ce reptile infernal qui ondule dans les flots. Ajoutez aussi des choeurs et de petis motifs sonores simples mais efficaces, pour renchérir le côté grandiose.


Vous vous souvenez du tout début de cette chronique ? Le spectateur lambda impressionné par un monstre en carton et des maquettes de ville ? Si on le transpose dans le présent, je pense pouvoir me mettre dans la peau de ce type. Ce ne sont que des effets spéciaux crées par ordinateur, c'est artificiel, mais ces artifices sont employés avec une maîtrise si peu ordinaire, qu'ils parviennent à prendre aux tripes, à une époque où il est si simple de créer des vaisseaux spatiaux.

Godzilla Minus One est une claque inattendue, un cadeau de la Toho qui honore dignement ce cher Godzilla, roi des monstres. Un hommage aux films de monstres, qui invite à la crainte et à l'émerveillement, mais aussi à la réflexion sur la guerre, à la vie des soldats avant et après les conflits. Une gemme qui a bien mérité son Oscar des meilleurs effets spéciaux, et qui, j'espère, restera pure de toute souillure à venir.

Arthur-Dunwich
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le 11 mai 2024

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