Alors que le roi des monstres fête ses soixante-dix ans, que reste-t-il de Godzilla dans l'esprit du grand public après avoir été absorbé comme tant d'autres par la vorace pop culture ? Une trilogie animée Netflix ? Une contrefaçon Emmerichienne ? La consternation d'un crossover américanisé tendance droit dans le mur ? Une exploitation française des opus nippons honteuse et lamentable ?
Godzilla Minus One arrive sans doute à point nommé pour redorer le blason du lézard atomique au cours d'un film épousant sa puissance et sa sauvagerie, mais peut être pas dans la forme à laquelle on pouvait s'attendre.
Entendons-nous bien : le millésime 2023/2024 de Godzilla apporte bien sûr son lot de destruction massive, écrasante dans son ampleur, archi spectaculaire dans son action, impressionnante dans ses conséquences dessinées à l'écran.
Godzilla est quant à lui toujours aussi souverain, bénéficiant d'une mise en scène flatteuse rappelant son statut d'icône du cinéma, enchainant les images chocs donnant l'impression qu'il dévore l'écran. Dès sa première apparition, le monstre affirme déjà sa présence animale et la menace qu'il représentera, alors même qu'il est loin de sa forme ultime dévastatrice. Effet de sidération à l'oeuvre, idée de cataclysme latent, le roi des monstres file encore une fois la métaphore de la peur de la bombe.
Mais Minus One, c'est aussi une matière en pleine mutation, comme sa figure de proue. Si elle rappelle que la licence s'impose comme le film de monstre par excellence, l'oeuvre braconne sur d'autres terrains sur lesquels on ne l'attendait pas forcément.
Ainsi, le film se paie par exemple le luxe de convoquer l'ombre écrasante des Dents de la Mer, le temps d'une incroyable poursuite qui fait furieusement penser que, décidément, nos héros auront besoin d'un plus gros bateau. Nerveuse, tendue, haletante, la scène scotche littéralement au fauteuil.
Mais surtout, Minus One s'impose comme un étonnant film sur la guerre et sur la reconstruction douloureuse d'un pays martyr et marqué par le déshonneur de la défaite. Sa première demi-heure pourra ainsi décontenancer, tant elle est nourrie non pas par les apparitions de Godzilla, mais par la chronique de l'après-conflit, des décombres et de la résilience.
Et puis mine de rien, derrière l'action, la destruction et les effets spéciaux quasi-parfaits, Godzilla Minus One questionne le patriotisme aveugle, l'abandon et l'absence des autorités gouvernementales face au péril, ou encore le sacrifice de simples citoyens livrés à eux-mêmes. Un rapport ambivalent qui va jusqu'à contaminer le personnage principal, au rôle peu reluisant de déserteur. Ainsi, Godzilla se mue aussi en mauvaise conscience face au conflit, en fantôme de la souffrance de la guerre qui reprend vie et vise désormais Tokyo. Des thématiques passionnantes, donc.
Et même si l'oeuvre est parfois rattrapée dans sa dernière ligne droite par des ressorts typiquement hollywoodiens, Minus One n'en parvient pas moins à conserver son équilibre miraculeux entre la tragédie intimiste, la grande Histoire, son spectacle généreux et euphorisant et son argument fantastique.
De quoi affirmer qu'en plus d'être le roi des monstres, Godzilla s'impose, avec lézard et la manière, comme le roi du blockbuster de ce début d'année.
Behind_the_Mask, pour qui il n'y a pas que le temps qui détruit tout.