La diversité générique du film français actuel a tout pour réjouir : alors qu’on a tendance à cantonner la production nationale dans certains registres généralement assez honteux, la sortie récente d’Enquête sur un scandale d’état et ce nouvel opus de Frederic Tellier prouvent la volonté de s’illustrer dans le film dossier, braquant les projecteurs sur les zones d’ombre de la République et les pratiques mafieuses dans les plus hautes sphères des décideurs.
Goliath s’empare ainsi du scandale des pesticides et de leur impact sur la santé en suivant la destinée de trois personnages qui ne se croiseront presque pas : une épouse d’un cancéreux victime des effets du produit, un avocat engagé à lutter contre le groupe qui en assure la production, et enfin un lobbyiste chargé d’assurer que cette dernière puisse faire perdurer ses profits en toute impunité.
Le récit, tressé avec un sens certain de l’équilibre, s’étoffe d’un casting cossu, dans lequel Lellouche parvient à juguler son traditionnel surjeu, et Niney incarne à la perfection un glaçant major de promo de la rhétorique cynique. C’est probablement dans cette immersion au sein des arcanes que Goliath abat son atout majeur : la fragilité de l’avocat lambda, mais convaincu, les réunions désenchantées des citoyens ont le mérite d’exister avec une certaine foi face au mastodonte des cabinet de lobbying, où l’on dissèque avec habileté la construction de l’opinion, l’essaimage des éléments de langage et l’arrosage généralisé des acteurs du dossier. Les séquences s’attardent dans des espaces clos (train, avion, salons privés) où se jouent les décisions, tandis que le citoyen lambda, à l’extérieur, n’a qu’à subir les conséquences de la pulvérisation dans l’air du poison qu’on a homologué.
Le traitement n’est pas exempt de certaines maladresses : le récit patine par instant dans sa volonté d’insuffler de l’émotion, par des séquences qui jouent d’un esthétique vériste un peu redondantes (le cirque, la fête, l’anniversaire…) et le désir d’authenticité garanti par la caméra à l’épaule n’est pas toujours du meilleur effet. Le didactisme de certains dialogues vire lui aussi à la leçon un brin mécanique, mais, d’une manière générale, ces scories ne mettent pas à mal la dynamique générale. La photographie travaille dès le départ cette entreprise de la mise en lumière : certains visages dévoilent ainsi à l’écran la souffrance et la détermination, tandis que d’autres, en retrait et dans une colométrie plus froide, établissent avec pertinence les mécanismes redoutables de l’influence et de d’un argumentaire construit avec une efficacité implacable. Et ce désir de dévoiler au plus grand nombre, par l’entremise d’un film grand public à la syntaxe proche du thriller, une réalité révoltante et toxique, n’a en définitive rien de honteux ; s’il ouvre les yeux à certains, ce sera autant de pris pour donner suite à ce final suspendu dans lequel le sentiment d’impuissance prédomine encore.