D'où vient ce profond ennui généré par le film, cette persistante évidence que rien ne se passe, que rien ne fonctionne, que rien n’émeut ? Pourquoi est-il si difficile de se passionner pour cette plongée cauchemardesque dans les méandres infernaux de la Camorra napolitaine ? Probablement à cause du trop d'histoires et de micro-destinées dont la plupart ont un intérêt restreint ou sont traitées de façon anecdotique (le couturier, le comptable), noyant de fait celles plus intéressantes qui méritaient davantage d’attention et un meilleur développement (Marco et Ciro, Roberto face au scandale des décharges illégales) ; peut-être aussi à cause de tonalités excessivement austères, grises, pesantes, et du manque de rythme à tout l'ensemble en dépit d’une mise en scène nerveuse, ultra-réaliste, presque sensuelle, souvent près des corps et des visages, et travaillant magnifiquement le contraste premier/arrière-plan de l'image.
Le film n'entend pas démonter les rouages économiques et meurtriers d'une organisation criminelle tentaculaire (évoqués en conclusion), mais dépeint essentiellement le quotidien terrifiant de celles et ceux qui doivent (sur)vivre sous son emprise et ses lois, totalement ou indirectement. Un quotidien physiquement et psychologiquement délabré (la terrible cité des Vele n'a rien à envier aux favelas de Rio ou de São Paulo), laissé à l'abandon et au privilège d'un système de valeurs et de forces qui n'a plus rien à voir avec la considération, la compassion et l'humain dans sa généralité ; si valeur il y a, c'est uniquement celle de l'argent (nerf de la guerre et seul moyen d'expression ou d’espérance), l'argent à tout prix, à tout idéal, l'argent au-dessus de tout et surtout de la vie. Le film de Matteo Garrone aurait beaucoup gagné en concision, en énergie, en incarnation, et reste en l’état désespérément monotone, rébarbatif, voire assommant, malgré sa redoutable intégrité et la portée sous-jacente de son propos sur les agissements sans scrupule d’impitoyables financiers de la mort.