Toutes les critiques le disent, David Fincher sort de bons films (au minimum) avec une régularité de métronome depuis des années, et ne fait que confirmer à chaque nouvelle œuvre son statut de réalisateur majeur du cinéma américain actuel. Maniaque de l’image, obsédé par la perfection, il est l’un des rares à pouvoir tirer de véritables succès autant artistiques que financiers de projets casse gueule comme le fameux « film sur Facebook » ou une réadaptation de Millenium. Après avoir abandonné plusieurs projets prometteurs comme 20000 lieues sous les mers, le voilà sur l’adaptation d’un thriller littéraire à succès, Gone Girl.
Disons le tout de suite, ce qui pouvait à première vue passer pour un petit film « tranquille » entre de plus gros projets s’avère être un de ses plus denses et passionnants (j’évite de dire « un de ses meilleurs » vu sa carrière, ça n’a plus de sens à force). De la même façon, si le casting de Ben Affleck a pu faire grincer des dents, force est de constater qu’il est dirigé à la perfection et joue de son image de mec simple et bourru (même son menton est important dans le film, c’est dire). Nous partons donc de mec simple Nick Dunne, dont la femme a disparu le jour de leur anniversaire de mariage. Son comportement en apparence désinvolte et l’absence de vrai alibi va faire de lui un suspect idéal assez rapidement, et je ne spoile rien, ce n’est que le début du film ou du moins ce que montrait la bande-annonce.
Des thrillers avec enlèvement/disparition, tout le monde en a vu son quota et il devient vraiment difficile de surprendre. Les films noirs de la grande époque en particulier ont retourné le thème dans tous les sens et proposé de nombreux twists surprenants, donc on pourrait se demander comment tenir deux heures et demie sur le sujet en 2014. En premier lieu, et ce n’est pas une grosse surprise de la part de Fincher, c’est l’approche thématique qui va nous changer un peu et surtout apporter de la profondeur au film. Comme pour The Social Network qui parlait de Facebook sans vraiment en parler, en se focalisant sur ses personnages et leurs trajectoires, ici l’enquête compte moins que le couple formé par Nick et Amy, et leurs proches.
Toutes les méthodes classiques sont pourtant bien là, avec battues, interventions publiques, appels à témoins et distribution de tracts. La différence, c’est qu’au lieu de les traiter par le prisme traditionnel de l’enquête et des policiers, le tout est vécu du point de vue de Nick. Je n’en ai peut-être pas vu assez, mais pour moi c’est seul thriller qui se concentre autant sur les médias. De nombreux documentaires portent sur l’acharnement médiatique dans des affaires criminelles, et je ne pourrais que conseiller l’excellente trilogie Paradise Lost au passage, mais rarement des fictions. Le sujet est certainement difficile à vendre, surtout quand la charge est aussi virulente. Talk-shows racoleurs, journal télévisée, manipulation de l’information et de l’audience, journalistes charognards, badauds sans gêne, tout y passe. On voudrait parfois se rassurer en se disant que la charge virulente tient de la satire, mais les affaires ne manquent pas pour montrer que la violence de la tempête médiatique peut être extrême.
Le plus passionnant dans cette thématique précise du film est de loin la guerre médiatique que Nick se retrouver à livrer avec son avocat (surprenant Tyler Perry) afin de contrer les rumeurs sordides qui se multiplient. Je précise que je ne vous spoile rien quant à la culpabilité du personnage, son avocat étant adepte des causes tordues et les coupables ayant droit à une défense comme les autres. Il est en tout cas fascinant de voir comment peut se retourner en un rien de temps l’opinion publique avec quelques révélations bien placées. On peut y voir une transposition du film de procès classique à rebondissements dans les médias actuels, où l’on cherche à démolir l’image d’une personne si on ne peut rien prouver par les faits.
Ca n’a bien sûr rien de nouveau, mais comme dans l’excellent Autopsie d’un meurtre que j’ai vu peu après, c’est le fait de décortiquer chaque détail de cette routine si particulière qui nous scotche. Le Preminger se concentre en particulier sur un procès pour un meurtre établi, depuis le recrutement de l’avocat jusqu’à l’annonce de la sentence, mais la démarche reste similaire. Dans le deux cas, on gagne ou on perd sur les apparences, sur la perception que l’on peut donner au public par des tonnes d’astuces et une maîtrise totale du discours.
Et le mieux dans tout ça, c’est que ce n’est qu’un des aspects du film ! L’enquête en est un autre dont j’ai déjà parlé, et si elle est plus classique elle parvient très bien à nous impliquer aux travers de découvertes bien dosées et de deux enquêteurs qui ont bien du mal à faire leur travail sans être influencés par les médias, justement. L’autre aspect majeur donc, c’est bien l’étude, pour ne pas dire la dissection, du couple modèle des Dunne. Là aussi vous n’allez pas sauter au plafond si je vous dit que les apparences sont trompeuses, que le couple est loin d’être aussi lisse et parfait que leurs proches le croient ou que la fameuse Amazing Amy ne l’est pas tant que ça. On pourrait résumer en disant que pris séparément, les thèmes du film n’ont rien de novateur, mais la maestria de Fincher à tout mêler de façon fluide et cohérente en fait un grand film. Il y a plusieurs films en un, et de quoi méditer pendant quelques jours.
Au rayon des félicitations, n’oublions pas le duo Trent Reznor/Atticus Ross, qui reviennent pour leur troisième collaboration avec Fincher. Leur compositions minimalistes et métalliques font toujours autant mouche, tantôt planantes et mystérieuses, tantôt lourdes et menaçantes, elles jouent énormément sur le ressenti du film. Elles ont surtout l’énorme qualité de faire corps au film, à la mise en scène, aux personnages, si bien qu’on ne la remarque pas, et ça n’a rien de péjoratif. C’est toujours un régal en des temps où on a tendance à verser dans le tonitruant et l’envahissant, sans forcément réfléchir à ce qui colle le mieux à l’ambiance.
Que dire de plus ? On tient là un des thrillers les plus denses et les plus passionnants vu depuis un moment au cinéma, une écriture riche et millimétrée, un Fincher totalement à son aise dans le cynisme et la cruauté de ce récit, qui nous gratifie d’une ambiance et d’une tension anxiogènes, c’est tout simplement à voir. Vous n’en ressortirez pas indemne.