Difficile aujourd'hui de passer à côté du véritable mammouth qu'est devenu David Fincher au sein du paysage cinématographique américain. Près de vingt-cinq ans après les débuts houleux de sa carrière de réalisateur sur Alien 3, Fincher suscite à chaque film un enthousiasme collectif peu commun. Difficile de dire qu'il ne mérite pas sa réputation tant Gone Girl est (encore une fois ?) une réussite intégrale, un film fascinant, hypnotique et construit avec une intelligence rare.

Gone Girl est la splendide conclusion de la "trilogie des médias" de Fincher, composée également de Zodiac et bien entendu de The Social Network. Mais nous y reviendrons.Quelque part, Gone Girl est peut-être son film le plus cru et cynique ; probablement son plus sobre. Le film est redoutablement élégant, entre ses cadres et mouvement de caméra parfois très cliniques et sa maitrise de l'ambiance et de la tension qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler Bunny Lake a disparu d'Otto Preminger... Fincher a de qui tenir.

La construction du récit est terrassante d'efficacité : Fincher, appuyé au scénario par Gillian Flynn (par ailleurs auteur du livre éponyme) joue non sans adresse avec la curiosité du spectateur et sa capacité à anticiper l'histoire. Gone Girl ne cède pas aux modes putassières du moment qui régissent la structure narrative des thrillers et surprend rapidement le spectateur qui pensait avoir tout calculé. A chaque nouvel acte, David Fincher parvient à redynamiser la curiosité du spectateur tout en jouant sur sa frustration. Un jeu assez délicieux venant d'un tel auteur.

C'est aussi un fin créateur d'atmosphère qui se cache derrière la caméra. Les ambiances cultivées par Fincher, du moins sur ses derniers films, sont discrètes et pourtant toujours très présentes, faisant flotter dans l'air une tension discontinue. Les ficelles utilisées deviennent invisible tant tous les outils font corps avec le métrage. Une fois de plus le réalisateur rappelle les redoutablement doués Trent Reznor et Atticus Ross pour la partition musicale. Anti-symphonique et dissonante à plus d'une reprise, magnétique comme jamais, la piste musicale du duo de compositeurs rappelle à quel point elle contribue à la réussite du film tout en sachant se faire extrêmement discrète. Un tour de force une fois de plus incroyable qui met en évidence le côté fusionnel entre Fincher et ses compositeurs attirés depuis The Social Network.

Les thématiques brassées par Gone Girl sont diverses et s'intègrent une fois de plus intelligemment au récit, faisant de ce nouveau film un des plus critiques et acerbes de l'auteur. Si le regard sur les relations humaines et le mariage est percutant (au passage superbement bien contre-balancé par la relation entre le personnage d'Affleck et sa sœur jumelle), c'est évidemment le rapport à la "culture" des médias qui est dans la ligne de mire du réalisateur. Gone Girl est terrifiant.Le quatrième pouvoir américain est montré ici sous son pire jour, tout puissant et sectaire, dans une démesure paraissant parfois surréaliste mais qui pourtant ne décroche pas du réel. A la manière de l'excellent Prisoners, par sa vision et son étude de la culture, Gone Girl semble s'inscrire dans une lignée de films qui revisitent l'Americana avec un regard sec et critique. De quoi le rendre encore plus délicieux.

L'image du personnage de Ben Affleck, façonnée par Fincher, est remarquable. On joue d'ailleurs avec l'image même d'Affleck, tantôt américain moyen aux airs benêts, tantôt personnage motivé et plus subtil. D'ailleurs est-ce vraiment un hasard si Ben Affleck est aussi le réalisateur de Gone Baby Gone ? La direction d'acteur de Fincher est épatante, d'une précision peu commune tant il met en valeur dans ses plans chaque intention, chaque réplique, chaque mimique, avec ce talent très typique qu'il a d'isoler les personnages dans ses cadres. C'est sans parler d'une Rosamund Pike hypnotisante, captée comme on ne le voit plus si souvent dans le cinéma américain, avec toute une virtuosité qui n'est pas sans nous rappeler la grande époque des Hitchcock ou autre De Palma. Et là où Fincher fait briller sa direction, c'est que rien n'est éclipsé, aucun personnage ne souffre de l'autre, tous ont leur intérêt et provoquent la curiosité du spectateur.

Ainsi de suite, on est conduit par David Fincher vers un dénouement absolument saisissant et singulier, ultime touche de frustration et de cynisme sur un univers contemporain s'apparentant presque à la farce, comme il commençait déjà à la cultiver dans Fight Club. Gone Girl serait-il une nouvelle étape dans la carrière de David Fincher ? Bien possible. On pourrait encore passer des paragraphes et des paragraphes à expliquer pourquoi Fincher maitrise tous les éléments qui sont mis à sa disposition, passer des paragraphes à parler de la photographie numérique hors-du-commun de Jeff Cronenweth qui sous-expose avec subtilité les personnages, passer des paragraphes à parler du splendide rythme de ces deux heures et demi... Passé un certain cap, il faut ne plus tourner autour du pot et lâcher le mot : grand film.

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le 10 oct. 2014

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Lt Schaffer

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