ATTENTION : TRÈS GROS SPOILERS !

Après l'échec de son Millénium, brillante adaptation du best-seller qui avait su intégrer à merveille les obsessions du cinéaste malgré un matériau de base à la réputation plutôt moyenne, David Fincher se retrouve à nouveau à la tête d'une commande. Il y avait donc une légère appréhension quant à se nouvel opus quant à savoir si le réalisateur serait toujours aussi libre. Après une longue exposition qui traîne un peu en longueur, les ramifications du scénarios se dévoilent et laissent apparaître un film impressionnant d'élégance, de complexité et d'intelligence. L'occasion de constater à nouveau que David Fincher reste le plus grand cinéaste américain en activité.

L'ouverture donc, nous présente un couple stéréotypé « American Way of Life », bien sous tout rapport, légèrement cynique vis à vis de leurs entourages respectifs comme l'état d'esprit de l'époque l'exige. Une exposition tout droit sortie de la première comédie romantique venue. Mais, un matin, Nick Dunne rentre chez lui pour s'apercevoir que son épouse Amy a disparue. Seul indice : une table en verre brisée. Il contacte la police qui commence à mener son enquête. La partie enquête n'est clairement pas ce qui intéresse Fincher dans ce film. Ainsi, pas grand chose de passionnant à ce mettre sous la dent de ce côté là. Non, ce qui l'intéresse est ce qui se passe autour de l'enquête : gala de charité, stratégie de communication, tweets repris comme élément de preuve, manipulation de l'opinion publique,... Toute cette première partie résonne donc avec les deux précédents films du cinéaste et poursuit son étude de la société moderne à l'heure de la communication a outrance. Si Mark Zuckerberg avait crée le symbole de la communication virtuelle pour compenser son autisme, si Lisbeth Salander détournait cette communication superficielle pour tordre le monde à ses envies, Nick Dunne est, quant à lui, la victime de ce règne médiatique. Pas assez larmoyant, compassionnel, trop beau, trop riche, il est le coupable idéal et est sur le point d'être brisé par cette déferlante de haine contenue qui peut désormais s'exprimer sans la moindre barrière contre tout ce qu'il est et représente.

Mais c'est lorsque l'on apprend ce qu'il est arrivé à Amy que le film prend une autre dimension et révèle toute sa perversité. Tout cela n'est donc qu'un piège tendu a son mari pour l'amener à être condamné. Et les raisons de ce piège en sont tout autant dérangeante. Amy reproche à son mari de ne pas être à sa hauteur, de ne pas être assez bien pour elle. Elle s'était forgée une image de Nick qui s'est étiolé au fur et à mesure de leur vie commune qui a finie par tourner à vide. En mettant en scène sa propre mort et en signant la condamnation de son mari, elle semble vouloir lui faire payer ces années d'aveuglement. On compare souvent le cinéma de Fincher à celui de Kubrick. Si l'envie de la comparaison est une marotte cinéphile un peu ridicule, elle semble pourtant tout à fait adaptée ici et Fincher n'a d'ailleurs jamais chercher à cacher son influence : image extrêmement travaillée, travail musical avec Trent Reznor et Atticus Ross qui n'est pas sans évoqué le travail de Kubrick et Wendy Carlos, et même obsession pour l'étude des relations humaines. Si on voulait poursuivre la comparaison, on pourrait voire en Gone Girl sa version d'Eyes Wide Shut. On y retrouve la même étude analytique d'un couple qui se désagrège, la même angoisse des rapports intimes et des relations amoureuses.

Ici, le rapport est amoureux est déplacé sous l'angle de la lutte des classes. Pour séduire Amy, Nick s'est élevé tel Martin Eden, il a essayé d'être à sa hauteur et l'illusion a marché pendant un temps. La vengeance d'Amy nous apparaît alors comme un acte visant a punir celui qui n'avait pas suffisamment de qualité pour la mériter selon elle. Il y a donc une vision très pessimistes des rapports humains par ce caractère insurmontable des différences. Mais, il ne faudrait pas pour autant voir dans Gone Girl un film misogyne. Après tout, Amy est elle aussi une victime de la superficialité d'une époque. Elle est belle, intelligente et drôle et donc la proie de toute la horde masculine prête à tout pour la sauter, quitte a mentir sur ce qu'ils sont vraiment. Ainsi, Nick se montre sous un beau jour lorsqu'il s'agit de la séduire mais révèle sa vraie nature un peu beauf dès que les années commencent a défiler : paresseux, vulgaire (il passe son temps vautrer devant la télé, la main dans son caleçon) et totalement dans la superficialité. En ce sens, le choix de Emily Ratajkowksi pour jouer sa maîtresse n'est pas anodin : quelle autre femme pouvait mieux incarner la superficialité que cette icône éphémère des années 2013-2014 ?

Ainsi Gone Girl est un jeu de massacre entre un couple qui semble symboliser toutes les tares d'une époque. Mais c'est aussi un film sur la lâcheté des hommes, sur la disparition de l'humain dans les rapports amoureux, sur la manipulation des femmes pour modeler leurs compagnons a leur image (il est évident que Amy décide de changer ses plans et de rentrer lorsqu'elle voit Nick devenir le héros de télévision qu'elle fantasmait) et sur le règne de la superficialité. Homme ou femme, personne ne sort grandi de ce constat angoissé et légèrement ironique.

Mais, par delà tout ça, Gone Girl parvient a demeurer un excellent thriller passionnant, où la mise en scène de Fincher fait a nouveau merveille. Son travail sur l'image, aux couleurs métalliques reflétant la froideur de notre temps, continue d'impressionner et il se permet de signer quelques scènes profondément marquantes (la découverte du journal ou encore la scène d'égorgement, au découpage génial, et où le corps d'Amy semble se mouvoir comme celui d'un animal sur sa proie). Ben Affleck est parfait dans son rôle d'américain moyen, modèle fantasmé du bon père de famille, qui va révéler l'ordure qu'il est. Son côté un peu fade sied a merveille ce personnage fait d'apparences. Mais la palme revient évidemment à la vénéneuse Rosamund Pike en mante religieuse manipulatrice, absolument géniale. Complexe, torturé mais humble vis à vis de son média, le cinéma, Gone Girl est la dixième étape d'une filmographie parmi les plus impressionnantes de notre époque et que l'on espère encore jalonnée dans grandes œuvres comme celle-ci.
ValM
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2014, Films vus et revus en 2014, Les meilleurs films de David Fincher et Films vus et revus en 2016

Créée

le 9 oct. 2014

Critique lue 717 fois

7 j'aime

2 commentaires

ValM

Écrit par

Critique lue 717 fois

7
2

D'autres avis sur Gone Girl

Gone Girl
Sergent_Pepper
8

Amy pour la vie

Brillantes, les surfaces de verre et les chromes étincelants des 4x4 d’une suburb impeccable du Missouri. Brillante, la photographie d’un univers bleuté, haut de gamme, au glacis de magazine. Beaux,...

le 22 oct. 2014

225 j'aime

22

Gone Girl
Kobayashhi
8

Lettre ouverte...

David Fincher, Il a fallu attendre que tu entres dans ta cinquième décennie pour réaliser ton plus beau film, il faut dire que contrairement à certains je ne t'ai jamais réellement voué un culte...

le 10 oct. 2014

182 j'aime

12

Gone Girl
Docteur_Jivago
8

American Beauty

D'apparence parfaite, le couple Amy et Nick s'apprête à fêter leurs cinq ans de mariage lorsque Amy disparaît brutalement et mystérieusement et si l'enquête semble accuser Nick, il va tout faire pour...

le 10 oct. 2014

172 j'aime

35

Du même critique

Priscilla, folle du désert
ValM
9

No more fucking ABBA !

Les visions successives ne semblent pas porter préjudice à l'enthousiasme que l'on ressent devant le génial film de Stephan Elliot. Pourtant, avec son exubérance et son overdose de musique disco, le...

Par

le 27 oct. 2014

14 j'aime

1

Sue perdue dans Manhattan
ValM
9

Magnifique inadaptée

Nombreux sont les films a avoir traité de la solitude, de l'errance propre aux grandes métropoles. Mais peu arrivent à trouver le chemin pour traiter ce sujet avec toute l'élégance, la délicatesse et...

Par

le 21 oct. 2014

10 j'aime

2

Belladonna
ValM
8

Critique de Belladonna par ValM

Quasiment invisible en France, où il ne fût d'ailleurs jamais exploité malgré sa présentation à Avoriaz en 1975, La Belladone de la tristesse (autrefois « La Sorcière ») constitue une expérience à...

Par

le 28 janv. 2015

10 j'aime