La première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à Goyokin, c'est Tatsuya Nakadai : son regard de braise, sa présence à l'écran, qu'il remplit de son aura intense. C'est le cas dans à peu près tous ses autres rôles : Harakiri, Ran, Rébellion...
La seconde, ce sont ses combats brefs, mais tendus et prenants, où l'on entend parfaitement les coups de sabre qui tranchent dans l'air et dans la chair, et marquent la mémoire d'une entaille sanglante.
Ces éléments viennent de l'expérience de Hideo Gosha à la télévision, où il fit ses armes en réalisant des feuilletons sur des histoires de samouraïs, la faible qualité de l'image le poussant à rivaliser d'ingéniosité pour compenser :
"A cette époque, la télé était surnommée "Théâtre de guignol électrique". Par rapport au cinéma, la télé était méprisée. Alors, il fallait des scènes d'action qui déménagent, avec des acteurs intenses, énergiques, motivés, (...) vifs, et très physiques. (...) L'image télévisée n'était pas aussi belle qu'aujourd'hui. Donc, pour focaliser l'attention, il fallait doper le son, lui donner une autre dimension."
Issu d'une interview d'Hideo Gosha.
Et pour intense, le film l'est. Dans son histoire, par exemple, celle d'un as du sabre, Magobei, qui quitta son clan et se fit ronin, dégoûté par les actes du sénéchal Tatewaki, qui fit décimer tout un village pour couvrir le vol d'un stock de lingots d'or appartenant au shogun.
Et Magobei va devoir se frayer un passage à travers des dizaines de samouraïs du clan, car celui qui est son beau-frère et meilleur ami compte récidiver, mais celui-ci ne le fait pas de gaieté de coeur, car c'est le seul moyen pour lui de renflouer les caisses de son clan et d'ainsi lui éviter la chute. Tout au long du film, il tentera de ne pas faire tuer Magobei, et lui demandera d'aller se faire oublier en partant avec sa femme. Mais il ne faiblira pas, et sa rencontre d'une jeune femme dont la vie fut anéantie par le massacre perpétré par Tatewaki ne fera que renforcer sa détermination.
Vous l'aurez compris, l'histoire non manichéenne est d'une rare noirceur, et ses personnages, avec chacun sa personnalité qui lui est propre, ont aussi leurs propres tourments : "Les problèmes du coeur humain en conflit avec lui-même." Comme disait Faulkner.
Gosha le pessimiste ne s'intéresse ici qu'aux individus, estimant qu'aucun système ne peut être bon, et certainement pas celui du Japon féodal. Sa caméra sublime des paysages enneigés empreints d'un calme serein malgré les affrontements sanglants sous la pluie, dans la boue, et où se mêlent le feu et l'acier (le trailer montre plutôt bien ça, je trouve). Intéressante dichotomie.
A la fin, Magobei désavouera entièrement les samouraïs, qui tuent ceux qu'ils sont censés protéger, prophétisant leur fin avec le début de l'ère Meiji, qui viendra quelques décennies après les événements du film. Sans regretter leur future disparition, contrairement à bon nombre d'autres chambaras, qui se plaçaient au début de cette période pour se désoler de la fin des fines lames.
Il s'en ira au loin sans se retourner, laissant en solitaire ses traces dans la neige, qui bientôt les recouvrira.