Les produits laids, t'y es.
Si Ichi the killer peut laisser un goût de provoc un poil complaisante jouant la carte de la violence et de la perversion (sexuelle ou non), ici on navigue dans le sordide atmosphérique, pas si éloigné à certains moment de l’ambiance d’une Auberge Rouge ; glauque et limite cauchemardesque.
Pour l’anecdote Gozu est le quatrième Miike auquel j’ai affaire, et je le place juste derrière La mélodie du malheur (Katakuri-ke no kôfuku), qui pour le moment s’avère être mon favori, et de loin.
Gozu est un véritable trip ; et donc par définition le film vous emportera dans son délire ou vous laissera sur le bas côté avec une sensation de nausée mêlée de somnolence. D’ailleurs c’est avec une lâcheté assumée que je laisse volontairement le soin à d’autres de tenter de résumer voire d’analyser son script bien barré (ainsi que sa conclusion hallucinée) pour faire un tour des éléments m’ayant emporté dans leur sillage.
Si le film s’avère dès le début assez déboussolant, et donc potentiellement hermétique, c’est je pense pour mieux faire le tri dans le public. Si vous restez, c’est pour vous faire envouter de façon quasi subliminale et progressive dans une histoire complètement déroutante, qui part d’un milieu familier de la culture cinématographique nippone (Yakuza eiga) pour se transformer en trip surréaliste mais ancré dans une réalité filmée de façon crue aux lumières et couleurs blafardes, délavées, malades.
Les situations dans lesquelles se débat Minami —notre "héro"— en quasi huis clos, évoquent les péripéties d’un cauchemar paranoïaque peuplé de lieus et de personnages véhiculant cette « inquiétante familiarité » (concept freudien aussi appelé « inquiétante étrangeté » ou « étrange familier ») qui caractérise les rêves les plus angoissants, pour ne pas dire oppressants.
La réalisation de Miike se fait d’ailleurs de plus en plus efficace au fur et à mesure du récit et le travail de mise en scène porte ses fruits, au même rythme, grâce à plusieurs éléments disséminés dès le départ. Ainsi cet impression de mauvais songe éveillé se caractérise par cette sensation (partagée avec Minami) d’évoluer dans une réalité qui n’est plus fiable, elle-même hantée par une poignée de personnages au discours incohérents, dénués de sens (les vieux dans le bar), trompeurs ou mensongers (la vendeuse de saké américaine).
Une impression forte et réussie de nager en plein asile de fou, comme l’entend l’expression populaire; insensé et déboussolant.
J’évoquais l’Auberge Rouge, je vous laisse apprécier la comparaison lorsque vous aurez fait la connaissance de l’auberge Masakazu et de ses gérants…
Personnages étranges, craintifs, laids et déviants parsèment cette histoire aussi déroutante que séduisante, et Miike —tout prolifique qu’il est— se montre ainsi économe en effets de réalisation de l’esbroufe pour mieux faire preuve d’ une réelle efficacité lorsqu’il s’agit d’appuyer de sa caméra les moments les plus cruciaux de son film.
L’ambiance singulière de Gozu constitue son principal attrait, elle est épaulée par une musique rare mais pertinente, quelques effets sonore dérangeants, une esthétique proche du dogme mais fort à propos, et des personnages au final plutôt attachants ou étrangement séduisant de par leur bizarrerie.
Une quête de sens, si ce n’est de soi, sur laquelle j’ai évidemment ma petite idée concernant une éventuelle interprétation (volontairement écartée de cette critique pour éviter de spoiler la conclusion du film), bien entendu ponctuée ça et là de gimmick caractéristiques de Miike (l’imagerie sexuelle déviante plus que la violence physique) mais constituant un tout plutôt bien ficelé et souffrant beaucoup moins des habituels soucis de rythme du réalisateur.
Osez Gozu.