Avec un réalisateur de talent, un sujet d'actualité brûlant et une fabuleuse distribution pour les rôles principaux, on pouvait en attendre beaucoup de Grâce à Dieu. Malheureusement, le nouveau film de François Ozon est quelque peu décevant. Il est important de rappeler que Grâce à Dieu a d'abord été pensé comme un documentaire par son réalisateur, mais diverses circonstances ont finalement poussé François Ozon à traiter ce sujet par le biais du long-métrage de fiction. Ce qui est autant une bonne qu'une mauvaise chose. D'un côté, le traitement du sujet est d'une complétude indéniable : examiné dans toute sa complexité et avec une pudeur bienvenue malgré la dureté des événements relatés. De plus, Grâce à Dieu émet un propos mesuré : comme il est répété plusieurs fois durant le film, il ne s'agit pas de dénoncer l'Église en tant que foi mais en tant qu'institution (chose humaine, donc faillible) renfermée sur elle-même et hautement conservatrice – il est alors assez ironique que cette dernière ait tenté d'interdire le film de sortie nationale (en sachant que l'accusé avait plaidé coupable), heureusement que cela n'a pas eu lieu. L'objectif du film est donc de faire évoluer les choses, en premier lieu l’Église, pas tant d'accuser finalement, et ce par le biais de la libération de la parole des victimes – chose on ne peut plus d'actualité. Si Grâce à Dieu a le mérite d'avoir de la nuance dans son propos – peut-être trop cela dit, ce que dénonce François Ozon n'est aucunement original –, c'est notamment grâce à son choix d'avoir trois personnages principaux différents les uns des autres car ceci permet au film de ne pas tomber dans la caricature. Puis, difficile de rester indifférent face aux talentueux Melvil PoupaudDenis Ménochet et Swann Arlaud, tous trois excellents devant la caméra de François Ozon. Tourné dans une certaine urgence, il est difficile de juger Grâce à Dieu avec un potentiel recul sur son sujet puisque le film n'en a pas lui-même : il sert, d'une certaine manière, à être le témoin de son temps, à transmettre une parole.


Toutefois, si l’intérêt de Grâce à Dieu provient de son rapport à l'actualité, quand sera-t-il plus tard ? Car en restant dans de la pure reconstitution, François Ozon prend la pari risqué de ne pas trouver de pérennité dans le futur, outre en étant un « document historique » – avec des guillemets parce que, rappelons-le, il s'agit d'une fiction –, même quand il s'agit du sujet de la prise de parole. En d'autres termes, Grâce à Dieu choisit l'actualité, peut-être au prix de l'universel ; mais, d'un autre côté, cela se veut totalement en accord avec le reste de la filmographie de son réalisateur, donc pourquoi pas. Il aurait pu en être autrement si François Ozon ne s'était pas limité à cette simple constatation : « La pédophilie, c'est mal » mais, plutôt, avait tenté de traiter son sujet plus en profondeur, en étudiant ses particularités. Grâce à Dieu traite de la pédophilie au sein de l’Église mais sans jamais chercher à la comprendre – il la traite comme toutes les autres pédophilies, or elle est différente. En effet, si la pédophilie ecclésiastique est aujourd'hui un tel fléau, ça doit être pour une bonne raison. Par-delà des détraqués mentaux, il doit y avoir un problème de fond d'autant plus grave derrière ces malheurs (est-ce que les prêtres pédophiles sont d'abord prêtres ou pédophiles. Si ce sont des pédophiles avant même d'être des prêtres, alors seule plus de vigilance est de rigueur. Mais si les prêtres pédophiles ont d'abord été des prêtres, puis des pédophiles – si c'est le contact répété avec des enfants qui a créé ou réveillé ces pulsions en eux –, là il y a bien plus de problèmes, mais donc une possibilité de solution. Puisque, dans ce cas, c'est la manière dont fonctionne l’Église qui est en cause. Il existe d'autres métiers où des hommes sont souvent au contact d'enfants, les maîtres d'école tout bonnement, sans pour autant que ces métiers soient entachés par des affaires de pédophilie. Peut-être que cela est dû à la vie recluse que vive les prêtres, peut-être est-ce l'impossibilité d'être marié ou quelque chose de cet acabit. Quoi qu'il en soit, il y a bel et bien un problème, et la politique de l'autruche menée par l’Église n'est clairement pas une bonne solution, ni même une solution.) pour que la pédophilie soit aussi répandue dans cette institution ; et il est assez clair qu'un tel traitement rentre dans la ligne directrice du film : faire évoluer une institution en lui faisant accepter sa faillibilité et ses travers.


Le véritable problème qu'induit ce traitement décevant – qui a, par ailleurs, d'autres répercussions sur le film – est que Grâce à Dieu est un film de fiction reprenant les codes du film documentaire. Or, la fiction et le documentaire n'ont pas le même but ou les mêmes codes : le documentaire rend des faits alors que la fiction réfléchit sur des faits, élabore un propos. Et simplement parce que la fiction et le documentaire sont deux médiums différents, Grâce à Dieu est un film moyen, qui avait cela dit toutes les cartes en main pour être un documentaire passionnant. Ce problème se retrouve donc à d'autres niveaux. En premier lieu, Grâce à Dieu bénéficie d'une mise en scène pauvre. Il y a bien tous ces débuts de séquence où le personnage de Melvil Poupaud rentre dans une pièce en allumant la lumière, tel le symbole que c'est lui qui met en lumière la vérité, la fait jaillir de l'obscurité, mais c'est à-peu-près tout. Autrement, les images de François Ozon sont assez anodines en matière de cadre, de composition de plan ou de symbolique. Puis, Grâce à Dieu se voulant très factuel et démonstratif, ses deux heures et dix-sept minutes se font assez sentir, ce qui n'est pas aidé par plusieurs moments rébarbatifs, le début notamment mais aussi le procédé de présentation des personnages lors des diverses parties du film par exemple. Diverses parties qui manquent d'une réelle cohésion : même si, forcément, elles se rejoignent à la fin, le tout ressemble à des morceaux provenant de films différents. Enfin, il est dommage que la bande originale soit aussi peu mise en avant alors que, dans les rares moments où elle est audible, elle a l'air de très bonne facture.


Ce choix de traitement empêche également le surgissement de l'émotion. Les témoignages sont si froids qu'on a du mal à compatir avec les personnages, sauf celui de Swann Arlaud, le personnage ayant été le plus meurtri par les attouchements qu'il a subi. Quand bien même, ces événements semblent n'avoir laissé aucune réelle séquelle sur les personnages : le film ne cesse de nous répéter qu'ils vont mal – du moins qu'ils sont encore touchés par ce qui s'est passé – mais on ne le ressent jamais. Pour pallier à cela, François Ozon choisit d'introduire des séquences de flashbacks assez pudiques pour ne pas être choquantes mais tout de même assez gratuites. Le procédé fait un peu forcé en effet – en plus d'être lassant, car répétitif et sans grand intérêt dans le développement dramaturgique – parce que tentant de créer de l'émotion d'une manière artificielle et lourde chez le spectateur. Au fond, ce procédé était tout à fait dispensable et, de plus, il dénote avec le reste du film. Au final, François Ozon s'est pris à son propre piège avec son Grâce à Dieu : une fiction mise en scène comme un documentaire, c'est ennuyeux et relativement sans intérêt. Reconstituer des événements ne sert à rien si cela n'est pas porté par une mise en scène intelligente, un véritable propos et une dramaturgie correcte. Et Grâce à Dieu ne possède aucun de ces trois éléments. Néanmoins, ce film permet de mettre en lumière un phénomène de société trop longtemps resté sous silence, sa résonance avec notre monde est ainsi toute particulière. Cela dit, difficile de ne pas penser qu'il y avait mieux à faire avec un tel sujet et un tel potentiel.

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le 8 mars 2019

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Venceslas F.

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