J'étais curieux de voir le regard qu'allait poser François Ozon, dont les partis pris, qu'on les trouve réussis ou non, sont toujours radicaux, sur un sujet aussi pesant et délicat que la pédophilie au sein de l'église catholique. Précédé d'une odeur de scandale provoquée par la tentative d'interdiction qu'il a dû subir, Grâce à Dieu tire pourtant sa force de sa grande sobriété, teintée d'une pudeur et d'un respect des victimes qui lui donnent une portée émotionnelle et politique considérables, et qui en font à mon sens une belle réussite.
Pourtant, cette sobriété a commencé par me frustrer. En effet, la réalisation est, à l'exception de certains plans à la symbolique forte, assez anonyme, dépourvue d'effets de mise en scène, presque naturaliste en ce qu'elle enchaîne les plans d'ensemble plus descriptifs - presque utilitaires - qu'immersifs, de mon point de vue. Mais d'une part, elle est accompagnée d'une photographie aux tons froids assez belle, et d'autre part, ce choix est cohérent avec l'approche quasi-documentaire adaptée par le cinéaste, qui privilégie clairement l'exposition des faits aux effets de mise en scène, et vise ainsi à montrer la vérité nue et glaçante, sans esthétisation qui puisse l'adoucir.
Dans cette logique d'économie d'effets, je tiens à saluer la direction d'acteurices, qui est pour moi le plus gros point fort du film. L'ensemble des casting, tant les premiers que les seconds rôles, fait preuve d'une justesse souvent saisissante dans leur jeu, d'autant plus louable qu'elle survit à l'exploration de caractères très différents, du traumatisme rentré de Melvil Poupaud et Aurélia Petit au malaise psychologique le plus accablant, porté par Swann Arlaud et Amélie Daure, qui évitent toujours l'excès, en passant par la détermination militante de Denis Ménochet, attachant d'un bout à l'autre du film. Tous donnent de la chair à ce récit très dur, et lui permettent de garder son angle réaliste, sans chercher la performance à tout prix.
Mais c'est l'écriture qui a achevé de remporter mon adhésion, car elle parvient à garder en permanence l'équilibre - et c'est beaucoup dire dans le cadre d'un récit de presque 2h30 - entre le courage de la confrontation au réel et l'apport de la fiction dans l'exposition d'un problème systémique et éminemment politique. Courage car les suspects de l'affaire dont traite le film sont nommés et incarnés, choix difficile en ce qu'il arrime le spectateur à une réalité atroce, mais nécessaire à la démarche de dénonciation que le film s'efforce de mettre en place. Dans le même temps, François Ozon expose une galerie de personnages fictifs, dont aucun n'a les mêmes armes pour affronter son traumatisme, ni le même rapport à la foi, ce qui permet de mesurer l'étendue des conséquences psychologiques possibles des agissements criminels des prêtres. La grande force du récit, à mon sens, c'est qu'il parvient à lier ces histoires entre elles, de sorte que cette variété de situations s'intègre dans un récit fluide et uni, évitant ainsi l'écueil du catalogue de portraits, qui aurait pu être rébarbatif à la longue.
Je ne vais pas mentir, Grâce à Dieu n'est pas un film facile d'accès. En plus d'aborder des sujets difficiles de front, il est assez long, et le fait sentir à travers un rythme lent, pas loin parfois d'être contemplatif. Mais je vous conseille de lui accorder sa chance, car le temps passé avec les personnages leur donne une épaisseur qui permet au film d'enrichir son approche documentaire d'un attachement émotionnel à des individus. M'en est restée l'impression d'un film ample, aussi déterminé et précis dans sa dénonciation d'un système cynique laissant agir des pervers qu'empathique et respectueux des victimes, à qui il entend donner une voix.
Qu'un film s'inscrive dans cette démarche m'a touché. Qu'il y réussisse m'a vraiment fait plaisir, en tant que spectateur autant que citoyen.