La plus grande force et la plus grande faiblesse de Severance résident pour moi dans son intriguant concept : dans ce que j’appellerais un monde parallèle, mélange d'éléments futuristes et passés destiné je pense à renforcer sa crédibilité, les travailleurs peuvent faire le choix de se séparer en deux, la partie d'eux-mêmes présente au travail ("innie", sous-entendu à l'intérieur de l'entreprise) devenant indépendante de celle de leur temps libre ("outie"). Il n'y a pas à dire, voilà une idée originale, et franchement intrigante. Qui plus est, on y sent le fort potentiel critique du monde du travail, notamment de l'absurdité qui y est parfois ressentie et des rapports de pouvoir qu'il peut mettre en œuvre, appuyé par les ressorts de la science-fiction.
Ce qui, je crois, fait beaucoup pour le succès de la série, c'est que ce concept est accompagné d'une esthétique vraiment soignée, à tous les niveaux. La photographie gris/bleu (bien qu'un peu trop sombre à mon goût par moments), mais surtout les décors minimalistes de l'entreprise, faits de dédales immaculés et d'équipements rétro, donnent un cachet immédiat à l'univers présenté. La bande originale est également remarquable, menée par un piano lui aussi minimaliste mais efficace, et d'effets de distorsion qui communiquent clairement le malaise palpable des personnages. Le tour de force restant pour moi le générique, fait dans une 3D à la fois d'un réalisme minutieux et d'une déviance dérangeante, le tout accompagné d'un thème lancinant. Il y a toutes les promesses de la série dans ces quelques secondes : tout a l'air d'aller, mais quelque chose se trame.
Il est donc indéniable que la série accroche vite et bien, aidée en cela par un casting soigné. Adam Scott est selon moi le parfait choix pour un type paumé, bien intentionné mais un peu mollasson, à qui il sait donner la densité du chagrin. Le charisme de Britt Lower, point d'identification des spectateur.ice.s, et de Patricia Arquette, garante du mystère du récit, fonctionne bien et permet de s'attacher rapidement aux personnages.
Cependant, et sans entrer dans les détails de l'intrigue, j'ai trouvé que Severance se faisait assez vite vampiriser par le concept même qui lui permet de susciter l'intérêt. Après un travail d'exposition pas franchement subtil sans être déshonorant, la série se lance dans une surenchère au mystère, pour tenter d'augmenter ses enjeux. Le problème, c'est qu'elle n'a pas autant de cartes dans sa manche qu'elle voudrait le faire croire, et que de ce fait les scénaristes se voient obligé.e.s de rallonger péniblement le récit pour qu'il tienne neuf épisodes. Et, à mon sens, rien d'étonnant : il ne peut pas y avoir de rebondissements ou de nouveautés sans arrêt, sauf à tomber dans le feuilleton peu intéressant. La solution ? Travailler ses personnages. Ce sont eux qui font la chair du récit, et qui provoquent l'implication émotionnelle du public, et cela d'autant plus que la série entend explorer le thème des troubles de l’identité. Il peut bien se produire la plus inconcevable des péripéties, peu m'importera si je ne suis pas intéressé par celleux qu'elle touche de plein fouet. Or Severance ne fait pas ce choix, ce qui fait que ses protagonistes semblent prisonnier.ère.s d'un unique trait de caractère, ou d'une future utilité scénaristique qui force à les maintenir dans le récit.
Alors, passé le frisson de la découverte, on s'ennuie. C'est simple : un tiers de la série, soit trois épisodes sur neuf, pourrait être évacué sans aucune conséquence sur la densité de l'intrigue ou des personnages. On attend que quelque chose évolue, qu'une relation se développe, qu'une intrigue approfondisse quelque chose... en vain. Tout ce que la série propose jusqu'à sa fin, c'est, sous couvert d'une critique acide du capitalisme, des scènes dont l'humour ne fonctionne que peu faute de nuance des personnages, et un enchaînement de rebondissements artificiels, assez mal amenés. Là encore, la proposition aurait pu être intéressante, car il y a matière à tourner en dérision. Et si parfois cela fonctionne, notamment lorsque l'on nous présente les rouages de l'entreprise, la série tombe vite dans des satires déjà vues et gratuites, ce qui en enlève beaucoup d'intérêt. Les causes de la dureté du milieu ne sont jamais explorées, ce qui fait que leurs manifestations n'ont pas d'impact, dans la même logique que ce que j'écrivais plus haut au sujet des rebondissements.
Dès lors, avec des personnages plats et la poursuite d'un mystère sans cesse repoussé comme unique horizon, Severance se révèle d'une relative pauvreté thématique et psychologique qui contraste violemment avec la puissance évocatrice de son idée originale. La série a beau redoubler d'effets narratifs sur sa fin, quelque chose ne prend plus, et ne donne pas réellement envie de voir où elle a envie d'aller.