Ce sera le billet du vieux con : les séries modernes m'ennuient. J'essaie de comprendre l'engouement autour des dernières têtes de gondole des plates-formes, et j'échoue presque invariablement. Y compris donc avec Severance, que je couvais pourtant amoureusement du coin de l'oeil et que l'arrivée sur Canal m'a convaincu d'enfin regarder. J'aime les récits dystopiques, j'aime la SF, j'aime Adam Scott, j'aime les bonnes critiques presse : qu'est-ce qui pouvait mal tourner ? Manifestement, pas mal de choses, tournant finalement toutes autour d'un simple fait, la façon de concevoir une série à l'heure de la consommation de streaming tous azimuts.
Premièrement, Severance n'est pas une série qui raconte quelque chose. A vrai dire, elle raconte quelque chose dans son premier épisode, après quoi, il faut que les scénaristes et metteurs en scène ménagent leur licence. Une série, ça coûte cher, et il faut la produire en dépensant le moins possible tout en laissant le plus possible le champ libre à une nouvelle saison. On se retrouve donc avec un formidable concept dont le premier épisode promet monts et merveilles, avant de s'enliser gaiement dans 7x50 minutes de rien du tout, où plus aucune piste n'avance. Ne reste qu'un défilé d'images propres en Dolby Vision totalement vides de substance, où le temps passe, certes agréablement, mais mollement. Le scénario est fait pour avancer très lentement et dénouer le moins de pistes possibles, en concluant son ultime épisode sur un cliffhanger nous laissant au même point que sept épisodes plus tôt.
Deuxièmement, Severance est allègrement contaminée par ce que je nommerais un certain mélange entre wokisme et corporatisme, à moins qu'il ne s'agisse en fait de la même chose : de la manipulation grossière, un diktat de l'émotion d'une rare vulgarité mis en oeuvre par des techniques d'écriture et de mise en scène qui sentent à des kilomètres l'hypocrisie et la pudibonderie. Du pur cahier des charges corpo, d'autant plus gênant qu'il s'applique à un show se voulant critique de ces mêmes corpos : j'attribue la Palme du foutage de gueule à ce message d'intro prévenant son spectateur que l'épisode va traiter de suicide en affichant un lien vers une page internet de prévention des risques psychosociaux hébergée et conçue par Apple. La scène en question était effectivement présente, très mal introduite, très mal mise en scène et très mal jouée. J'en serais volontiers mort de rire si je n'avais pas ravalé ma morgue à l'épisode suivant, qui met en scène un meurtre à la batte de base-ball sans se voir précédé pourtant d'un message d'avertissement. Le wokisme corpo, c'est à ça qu'on le reconnaît : on doit prendre des pincettes avec tout, sauf avec la violence gratuite.
Troisièmement, l'épuisement total du temps de cerveau disponible. J'ai des choses à faire, comme par exemple jouer à des jeux, regarder de chouettes films, non mais. Severance me demande de passer plus de 7 heures à regarder des trucs faisant semblant de faire avancer son intrigue, en ouvrant et en fermant sur des passages intéressants pour donner le change. Je me prends au jeu avec plaisir, avant de constater, arrivé à la fin, qu'aucun personnage n'a été écrit de manière pleinement cohérente, qu'aucune péripétie ne va sans s'accompagner d'une facilité ou d'une incohérence fondamentale, que des arcs narratifs entiers ne sont au service de rien en particulier, ni de développement de personnage, ni de creusement de l'univers ; ce sont juste des jolis plans panoramiques lents avec des musiques tristes.
Mais le plus gros problème, c'est vraiment que la série ne conclut pas son histoire. Cette première saison se termine littéralement au milieu de son récit, laissant son spectateur sur une frustration à la hauteur du temps investi. Evidemment, si Apple nous gratifie de ses petits messages préventifs en début de chaque épisode, ils n'allaient pas non plus en profiter pour ajouter un disclaimer : "Attention : cette série n'est pas une histoire complète. Restez abonné pour découvrir la suite dans la saison 2." Pensez-vous ! Je ne supporte plus cette façon de garder son public captif : ce genre de procédé était à la mode dans les feuilletons télé des années 2000, aujourd'hui c'est devenu pour moi d'une ringardise et d'une malhonnêteté inexcusables. Du coup, j'arrive au dernier épisode en me sentant profondément arnaqué.
Le générique est très beau.