Pour être honnête, c'est une combinaison d'éléments qui m'ont entraîné dans la salle pour visionner ce film : stage de deux jours au TNB (Théâtre national de Bretagne) + projectionniste qui n'a pas vraiment aimé comment notre maîtresse de stage nous gérait + fin de journée vers 21 h = une séance de cinéma offerte. Et je pense que, même pour un "Batman VS Superman", je ne dis JAMAIS non à une séance de cinéma gratuite. Faute de plus intéressant, j'ai opté pour 'Grâce à Dieu" parmi les deux séances disponibles à cette heure. J'avais pourtant des sérieux préavis à son propos : le pathos est si facile à atteindre dans ce genre de propos, de plus la systématisation du détournement religieux commence sérieusement à me gonfler (d'autant plus que, comme par hasard, elle est toujours chrétienne, les Imams et les Rabbins eux sont blancs comme neige). Quant à Ozon, il a toujours alterné entre le mauvais et le bon, or, pour ce genre d' histoire, je me serais vraiment senti mal si il ratait. Parce que là, ce n'est pas un scénario fictif, c'est un peu plus délicat quoi.
Et, au final, je le remercie. Profondément. Je n'avais pas imaginé (et je n'aurais jamais pu, je ne crois pas m'être fait violer dans ma vie) que cela pouvait toucher autant de sous-sujets : la réaction familiale (remords, découverte du fait, ignorance par intérêt professionnel...), l'importance de cette parole libérée pour ses protagonistes vis-à-vis de leur vie au présent, la relation à la religion qui n'est en fait pas si radicalement éradiquée que ça, ou encore la place qu'Internet prend pour mettre en relation des victimes qui ne se seraient jamais rencontré autrement. Tout est subtil dans le film. Pour exemple ce boulanger victime de ces attouchements, visiblement très gêné : on ne le verra pas lâcher prise et rejoindre l'association. Parce que tout n'est pas si simple, Ozon évite l’écueil que je redoutais et qui m'insupporte partout où je vais : le manichéisme. Il l'évite en réalisant un film choral (presque) parfaitement équilibré, avec des profils de personnages très différents les uns les autres, multipliant alors les points de vue et la manière de vivre avec ça dans le grenier mémoriel. En faisant ça, il prouve définitivement que tout le film est basé sur des intentions sincères, parler d'un sujet important sans cynisme ni tentative promotionnel (le procès s'est déroulé en même temps, à tel point que l'avocat du prêtre que je ne citerai pas a demandé le report de la sortie du film. C'était l'instant anecdote-que-tout-le-monde-connait). Donc oui, le scénario est vraiment excellent, très attachants, qui s'est attardé sur l'important : les victimes. J'y ai presque vu une référence involontaire aux Gilets Jaunes, ou comment des gens invisibles parviennent à trouver un clan qui leur ressemble autour d'une cause commune. Le thème de la religion, de la justice, même de la prise de conscience sociétale, tout ça passe après. C'est la classe. Les acteurs l'ont bien compris : je découvre Swan Arlaud, qui est un putain de futur Patrick Dewaere en puissance ; Melvil Poupaud est toujours aussi inattendu et juste (malgré une intonation vocale un peu théâtrale par moments, trop grave) ; Denis Menochet est Denis Menochet. La réalisation, aux compositions d'image souvent inspirées et très fines (les pièces séparant deux personnages, ou la Lumière qui atterrit pile entre Poupaud et le prêtre pédophile mais jamais dépeint comme étant franchement malveillant), est au plus près des ressentis de ses personnages. La lumière est grise sans être macabre, parce que ce film n'est pas plombant ou terne. En fait, "Grâce à Dieu" dévictimise ses sujets, dans le sens où ils ne sont pas limités à leur traumatisme, ils ont tous une femme, certains une famille, qui ne souffrent pas forcément de ces carences. De ce fait, il n'y a pas les effets pathos qui m'inquiétait, malgré qu'il le frôle de temps en temps comme lorsque Poupaud raconte son histoire avec un peu trop d'émotivité, parce que Ozon et son équipe était partis dès le départ dans l'idée qu'on racontait avant-tout la délivrance d'un secret lourd par des gens à cause de ce même secret. C'était, effectivement, la direction qu'il fallait prendre. Une très bonne surprise. Gégé.