En ce moment j’aime bien m’attaquer à des films dans lesquels il n’y a pas de scènes, devant lesquels on a constamment l’impression que la caméra ne regarde rien, que ce que filme le réalisateur ne l’intéresse pas, ne constitue que de l’illustration de scénario, avec des plans et des scènes qui ont tous la même durée : aucune. Grâce à Dieu de François Ozon joue complétement ce jeu-là, mais est extrêmement lourd et moralisateur en plus de cela. C'est le genre de film ultra complaisant qui regarde son spectateur avec un air méfiant et hautain, lui dictant sans cesse quoi penser, le culpabilisant tout le temps. Une séquence-type de ce film, c’est un personnage qui tient un propos « problématique », blessant, qui s’exprime maladroitement sur un sujet grave, en l’occurrence celui de la pédophilie chez les prêtres, et un autre, filmé en gros plan, les sourcils froncés, l’air indigné, qui lui fait la morale, répète des phrases toutes faites et moralisatrices pour le rectifier. D’ailleurs pour une fois, la bande-annonce ne ment en rien sur ce qu’est l’esprit du film, au point que je recommanderais de voir seulement la bande-annonce et pas le reste, ça fait gagner deux heures pour en avoir vu et appris exactement autant à la fin. Le problème, c’est que le discours du film est bien trop banal pour l’asséner avec autant de suffisance, pour se complaire à ce point dans une indignation qui côtoie de très près le narcissisme. Avec ce film, Ozon ne fait que ça, s’admirer en train de s'indigner. Mais on est déjà d’accord avec ce qu’il dit, donc tout est extrêmement lourd et on se sent juste pris de haut.
La justesse des scènes, la vérité de ce qui peut se dégager à l’écran, ça n’intéresse pas Ozon. D’ailleurs, l’approche formelle du film est d’une grande banalité dans le cinéma français, celle d’une espèce de pseudo-documentaire qui n’a de réalisme que le nom, où on essaie vaguement de faire parler les gens comme dans la vraie vie, mais où tout est en fait très théâtral et expédié. Les scènes ne sont là que pour nous faire la dictée. Dans ce film, tout est explicitement dit, sans aucune zone d’ombre, sans ambiguïté, sans laisser le spectateur questionner lui-même ce qui est montré. Par exemple, mais il faut bien se rendre compte que tout est comme ça pendant deux heures, quand le cardinal dit que « grâce à dieu », les actes du père Preynat sont prescrits, au lieu de nous laisser devant cette expression assez dégueulasse mais dont on peut comprendre qu’elle échappe à ce type qui l’utilise comme un tic de langage et qui, dans cette affaire, est tiraillé entre le camp de l'accusation et de la défense, Ozon rajoute l'intervention d'un journaliste droit, moral, exemplaire, qui se lève et nous explique en quoi la phrase était problématique : « Non mais est-ce que vous vous rendez compte de la violence de ce que vous dites ?! "Grâce à Dieu" ça veut dire "heureusement" ! ». Et tout est dit comme ça, rien n’est hors du champ, rien n'est entre les lignes, c'est un foutu cours d'éducation civique et morale. Godard disait que si on ne filmait que le visible, on faisait un téléfilm, et c’est exactement ce que fait Grâce à Dieu. Godard disait aussi que si un cinéaste filmait deux personnes qui discutent en champ-contrechamp avec des plans exactement identiques pour les deux, autrement dit si les personnages dialoguent entre eux mais pas les plans, c’est que ce cinéaste ne voit pas lui-même ce qui différencie les personnages : Grâce à Dieu est un film de champs-contrechamps, cadrés toujours à mi-épaule, toujours de la même façon, à part bien sûr, quelques gros plans pour alourdir le tout et souligner toute l'indignation ou la douleur des personnages quand il le faut. D’ailleurs toute la mise en scène est extrêmement convenue, la façon de filmer les flashbacks, de mettre une voix-off ou des violons sur absolument tout et n’importe quoi, et les couleurs altérées pour ne pas qu’on oublie que le film se veut unilatéralement catalogué « drame ».
Le problème, c’est qu’on a l’impression que le simple choix du sujet du film le hisse immédiatement aux yeux de certains au rang de chef-d’œuvre, alors qu’il n’y a rien, quelques bons choix de casting éventuellement, en particulier pour Denis Ménochet, mais tous les choix de mise en scène auraient pu être faits par un ordinateur en recopiant ce qui se trouve partout ailleurs. Normalement, c’est au spectateur de juger le film, pas au film de juger le spectateur en lui faisant comprendre que s’il est exaspéré par ce qu’il voit, c’est qu’il est profondément immoral. J'ai rarement vu un truc aussi con se prendre autant pour une œuvre importante et profonde ; il suffit de voir les plans d'ouverture sur l'Église, extrêmement esthétisés pour rien – pour un film qui se veut à charge contre cette institution c'est paradoxal –, pour comprendre que le réalisateur en est persuadé.