Le cinéma de Eastwood est social. Après Mystic River et Million Dollar Baby, il replonge dans le sillon de l'Amérique oubliée, celle qu'on ne montre que rarement dans les films, de droite, pauvre, parfois raciste mais nostalgique d'une prospérité sacrifiée.


Walt Kowalski est un ancien ouvrier de chez Ford. Il vit à Detroit, ville de l'automobile, qui périclyte avec la disparition inexorable de l'industrie. Ne restent que les pauvres ouvriers blancs et les migrants, massés là parce que refoulés partout ailleurs. Les maisons tombent en ruine, la délinquance grouillante se développe dans les friches abandonnées et les terrains vagues. Ne restent, du passé glorieux de l'industrie que la vieille Gran Torino de Kowalski, qu'il époussète quotidiennement dans son garage, vestige d'un monde désormais révolu.


Walt Kowalski est un homme solitaire et taciturne. Sa femme est morte, ses enfants font leur vie ailleurs. Il rumine son passé : la fin de l'industrie, la guerre de Corée et l'invasion de sa ville par les chinois et les étrangers. Au crépuscule de son existence, rongé par les remords et les regrets, sa vie va pourtant prendre un tournant inattendu puisqu'il va se lier d'amitié avec ses nouveaux voisins, des Hmong, venus en Amérique dans l'espoir de caresser le rêve américain, que la Grand Torino, incarne.


Ce film est profondément touchant. Les personnages, finement développés ne sont jamais manichéens, souvent touchants, parfois drôles. Le film tire les larmes du spectateur mais aussi parfois le sourire. La réalisation de Clint Eastwood est ici très humaine, très simple, sans esthétique particulière. Eastwood dresse le portrait d'une Amérique oubliée, d'une Amérique de l'envers, celle sur laquelle s'est appuyée Trump pour se faire élire. On croise Tao, un jeune Hmong peu dégourdi qui va se révéler en fait travailleur et brave, sa soeur Sue, débrouillarde et volontaire, un prêtre catholique coincé mais aux grandes qualités humaines. Au travers de tous ces portraits, Eastwood interroge la foi, l'immigration, le travail, la société moderne. Il exprime des valeurs simples : la famille, le travail, le respect, la tolérance sans jamais être niais ou naif. Il touche juste. Eastwood n'hésite pas à faire parler ses personnages comme dans la vraie vie, à coup d'injures. Son cinéma est profondément naturaliste, réaliste de bout en bout.


Et bien entendu, dans toute histoire américaine, il y a une tragédie. Dans Mystic River aussi la tragédie infusait derrière la vie de gens simples, comme si la fatalité devait s'abattre sur les milieux populaires. C'est là qu'une thématique centrale du film émerge : le pardon et la repentance. La religion est là, embusquée dans le film, et ronge Walt. Lui qui a des remords, des regrets, qui a beaucoup échoué, comment se fera-t-il pardonner. Il se remémore la guerre de Corée, quand il a tué des gamins innocents en regardant Tao, le jeune garçon qu'il a pris sous son aile. Il rachète sa faute, il paye sa dette à Dieu.


Film universel, film fort, film qui ne laisse pas indifférent. J'ai pu le montrer à des collégiens, tous ou presque ont adoré ce film, tant il parle à chacun. Il est intergénérationnel. Eastwood parvient dans ce film à susciter une émotion pure, simple, sincère qui tend à faire réfléchir au sort réservé à notre monde.

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le 19 sept. 2017

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Tom_Ab

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