Séquence nostalgie : qu’est devenu le film culte de nos vingt-cinq ans, Grand Canyon, à l’heure où la relève cinéphile – et le jeune Fulci en tête – moque l’œuvre de Lawrence Kasdan, à commencer par La Fièvre Au Corps ? Que voulez-vous, la jeunesse ne respecte plus rien…

Or il est vrai que Grand Canyon a pris un coup derrière les oreilles, la musique, par exemple, furieusement eighties, ou le jeu kilogrammé de Mary McDonnell. Notre fantasme MILF de ces années-là révèle maintenant quelque chose qu’on n’osait pas se dire en 1991 : Dressée avec le Poing ne joue pas très bien.

Heureusement il y a les autres. Danny Glover, Kevin Kline et Steve Martin, dans un de leurs meilleurs rôles, l’un des premiers rôles marquants de Mary-Louise Parker (Beignets de Tomates Vertes, A La Maison Blanche, et bien sûr Weeds), la toujours excellente Alfre Woodard (Passion Fish, K-Pax, Desperate Housewives, 12 Years a Slave) et les débuts de Jeremy Sisto, le futur (et immense) Billy Chenowith de Six Feet Under.

Quant à l’intrigue, toujours aussi mélo, elle marche toujours. Grand Canyon, (métaphore !) est l’histoire d’un gouffre, celui de Los Angeles, qui sépare deux hommes. Mack (Kevin Kline), est blanc, bourgeois, a de riches amis producteurs (Steve Martin), une jolie femme et un ado qui va partir. L’autre, Simon (Danny Glover) est pauvre, noir, avec une sœur et un neveu qui habite South Central. C’est là qu’ils vont se rencontrer, de façon tout à fait fortuite, car dans le Los Angeles de ces années-là, peu de chances qu’un noir rencontre un blanc. Simon va non seulement lui dépanner sa voiture, mais peut être aussi lui sauver la vie, en l’extrayant des griffes d’un gang de noirs menaçants.

Que va-t-il rester de cette rencontre ? Mack veut évidemment payer sa dette, Simon, fataliste, ne parle qu’en termes de chance ou de malchance.

L’originalité de Grand Canyon, c’est de partir de ce postulat de base mais de ne pas s’en satisfaire. Aider l’autre, oui, mais s’il ne veut pas ? Mack vient avec ses bons sentiments (et aussi sa culpabilité de blanc riche), mais la vie, c’est plus compliqué que ça ! En aidant la sœur de Simon à déménager, ne va-t-il engendrer de plus grands malheurs ? Les personnages sont ainsi tiraillés de contradictions internes (Mack veut aider Simon, mais ne veut pas recueillir le bébé abandonné).

En fait Grand Canyon est une peinture, certes mélo, mais assez exacte des angelenos paranoïaques des années 80. Explosant sous le fric, mais couvant le feu de la pauvreté (les émeutes ravageront le centre-ville un an après). Proposant un mode de vie extraordinaire, mais passant à côté d’icelui (aucun de personnages n’est allé voir le Grand Canyon, pourtant à quelques heures de route…) Mélangeant le glamour d’Hollywood et l’immense pauvreté des homeless, la richesse des puissants et la pauvreté des quartiers (Compton, South Central, Echo Park)… Le film réussit à traduire cette tension interne, immense, qui habite cette ville formidable, en les incarnant le plus justement qui soit via ses personnages.

Aux côté de Short Cuts, Magnolia, Heat, Grand Canyon est à ranger parmi les plus beaux films qui ont tenté de faire le portrait de cette ville méconnue, incomprise, et pourtant fascinante qu’est Los Angeles.
ludovico
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le 7 mars 2014

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