En 2016 sortait Le grand marin, roman d'une illustre inconnue qui bénéficia d'emblée d'un bouche à oreille extraordinaire avant de devenir un immense succès de librairie. Cela changeait beaucoup de la production littéraire francophone qui, tout à coup, nous racontait une véritable expérience de vie - et quelle vie ! - plutôt que d'en imaginer une.

La vie de Catherine Poulain n'est pas de celle dont on se gausse dans les salons littéraires. Elle a vraiment travaillé une dizaine d'année sur des chalutiers en Alaska, elle a été saisonnière dans les exploitations agricole un peu partout, elle a été bergère. Plus de 6 ans après, c'est l'actrice russe Dina Drukarova qui s'est collé à une adaptation qu'on n'attendait plus.

Silhouette familière du cinéma européen (elle incarnait déjà la gamine dans l'inoubliable Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanievsky, c'était... en 1990 !), sa frêle silhouette colle d'emblée à cette Lili opiniâtre et pugnace qui non seulement n'a pas peur de se coltiner à ce métier d'enfer, mais ne craint surtout pas la proximité avec ces bonshommes taiseux, guère aimables, bêtes de labeur sur mer et inconsolables sacs à bière sitôt rendus au port.

Tout colle dans cette adaptation qui s'épargne pourtant les quelques morceaux de bravoure très secouants (la terrible tempête en mer durant laquelle l'équipage continue de lever ses filets, l'interminable calvaire de Lili cherchant à occulter sa terrible blessure à la main), faisant presque oublier que le roman de Catherine Poulain, lui, souffrait la comparaison sans sourciller avec quelques illustres modèles, Joseph Conrad, Hemingway ou Kenneth Cook en tête.

Tout colle si ce n'est que, plutôt que la spectaculaire quête existentielle que le roman recelait, le film de Drukarova se place peut-être dans une autre optique. Exit l'article défini: ce sera Grand marin tout court, et plus ce qui qualifiait le personnage de Jude (formidable Björn Hlynur Harraldson), ce gros nounours exemplaire sur le pont, lamentable sur terre, qui ne pipe jamais un mot et finira par se lover au creux de ses bras. Ce grand marin, c'est elle et personne d'autre.

Le film a la justesse de ne pas poser une hypothétique égalité hommes-femmes comme point d'appui à sa raison d'être. Même si elle finira par être adoptée par ce petit monde, Lili est un cas et elle le sait parfaitement. Bien sûr,le film comme le roman fait la nique aux a priori machistes, mais avec son accent russe (elle se dit pourtant Française), cherchant à se faire adopter dans ce no man's land peuplé de Norvégiens, d'Islandais, de Sri-lankais, d'Américains et de Flamands, c'est plutôt à une allégorie sur les sans-papiers, véritables damnés de la terre à qui il n'est donné que de gagner (mal) leurs vies dans des conditions dantesques.

Grand marin a été reçu avec une indifférence assez désarmante, plutôt injuste car c'est un film qui respire vraiment ces contrées éloignées, si peu arpentées par le cinéma. C'est dommage, d'autant que son casting, sans stars bankables, - et c'est peut-être pour cela que les médias l'ont impoliment balancé sur le bas-côté, - est en tout point exemplaire. Avec au premier chef le génial Sam Louwyck qui, avec ses grands abattis, sa voix de fumeur de gitanes et sa bonne gueule de taulard, s'accapare ce rôle de capitaine de chalutier comme s'il en était.

Rongemaille
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le 22 janv. 2023

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