Un film de Hong n'arrive jamais seul. A peine a-t-on eu le temps de rater son avant-dernier (Juste sous vos yeux, sublime parait-il), de me remettre de la légère déception causée par son avant-avant dernier (Introduction, sorte de brouillon de croquis de film) qu'on nous annonce l'arrivée du prochain, montré actuellement à Berlin et qui a fait chuter quelques spectateurs de leur strapontin: il paraitrait que Hong y travaille la profondeur de champ en filmant flou ses personnages et du net en second plan. Quel joueur celui-là. Hâte de voir ça.
Avec La romancière..., on est quasiment en terrain connu. Un film de rencontres, filmé dans des espaces qu'on a déjà aperçu dans d'autres de ses films. selon un système coq-à-l'âne en apparence très simple mais qui se dérègle en fonction des humeurs et des caractères de chacun. Lorsque Kim, romancière reconnue vient rendre visite à sa vieille amie qui possède une librairie à Séoul, c'est pour sympathiser avec l'employée de celle-ci et s'amuser à composer de jolies phrases en langue des signes. Première scène merveilleuse.
Lorsque Kim rencontre inopinément un cinéaste qui fut à deux doigts, jadis, d'adapter un de ses livres, c'est pour faire aussitôt une autre rencontre avec Kilsoo, une célèbre actrice qui a abandonné le cinéma depuis quelques années. Là, il faut voir comment Kim, qui possède son petit caractère pète-sec, évacue le cinéaste contre lequel elle a une dent (elle lui reproche de ne pas avoir assez défendu leur projet commun de film au profit de ses petits intérêts personnels), comment le neveu de Kilsoo se greffe alors à la promenade, comment ils décident de monter un projet de court-métrage ensemble (le neveu est étudiant en cinéma), et comment Kilsoo et Kim se retrouvent au gré du hasard à un repas dignement arrosé en compagnie de Mansoo, doux poète alcoolique chez leur amie commune, la libraire du début.
On est comme à la maison. Ce même noir et blanc que dans Hotel by the river, ce même quadrillage des scènes et des rencontres que dans La femme qui s'est enfuie, le même quartier que Le jour d'après et pourtant, c'est une tentative encore nouvelle, encore une autre, et une autre grande scène de repas bien arrosé, ancienne spécialité et première marque de fabrique de Hong.
Comme toujours chez lui, plus les motifs sont habituels, plus la trame semble petite, plus apparaissent comme grandioses ces trouées dans la narration qui nous collent des vertiges infinis. Ici, lors d'un dénouement assez attendu après une longue ellipse, notre trio improvisé l'actrice - la romancière - l'étudiant en cinéma viennent d'achever leur film, et Kilsoo se rend seule en salle de projection pour le découvrir. Un cut inattendu, alors que Kim et le neveu sont partis prendre l'air sur les toits, insère un bout de film dont on croit d'abord qu'il s'agit d'un extrait de celui que Kilsoo est en train de regarder. Mais il s'agit d'autre chose: l'actrice ramasse des fleurs lors d'une promenade en compagnie d'une vieille dame, approche le bouquet de la caméra (et là je vous le jure, Kim Minh-hee n'a jamais été aussi belle) et on entend la voix de Hong Sang-soo lui dire: "Je t'aime, je t'aime".
Cela faisait un moment, effectivement, que plutôt à Rohmer auquel il a été longtemps rattaché, le style de Hong fait plutôt penser aux hardiesses formelles d'Alain Resnais.
Dommage qu'il filme en noir et blanc, lui dit alors sa muse, les couleurs du bouquet sont si jolies. Qu'à cela ne tienne, le temps d'un petit réglage et Hong rend les honneurs à la couleur et ce sera tout: on peut aussi faire du cinéma par amour.
Que dire de plus si ce n'est que ce cinéaste n'a pas fini de m'en faire voir. L'inventivité permanente comme la profonde humanité de son cinéma n'ont aucun égal aujourd'hui. En me retrouvant une nouvelle fois bouche bée devant un de ses films, en brassant dans ma mémoire de cinéphile qui se dit parfois qu'il en voit trop et confondant très souvent ses films entre eux, je me disais qu'un jour peut-être, Hong Sang-soo qui est loin d'être le cinéaste le moins hardi du monde, tentera de faire un film, voire plusieurs, avec des bouts de ses autres déjà réalisés.
De lui on peut s'attendre à tout et même en s'attendant à tout, il arrive encore à nous surprendre et à nous émouvoir. Le plus grand c'est lui, un point c'est tout.