GTH, comme il faudrait l'appeler pour les habitués, est un documentaire en machinima, une technique assez populaire dans le youtube du début des années 2000, qui consiste en l'utilisation du moteur et du système de caméra d'un jeu vidéo pour créer, avec du montage, une sorte de film tourné à l'intérieur. Il met en scène la quête de deux comédiens, Sam Crane et Mark Oosterveen qui, pour supporter la période d'enfermement du COVID, décident au cours d'une partie de GTA Online d'essayer de monter une représentation de Hamlet à l'intérieur d'une session de jeu. Le documentaire nous permettra de passer par différentes phases, allant de la genèse impromptue du projet aux hilarantes auditions, en traversant le doute et l'épreuve de la faisabilité.
Très chouette expérience que le visionnage de ce documentaire en machinima, quelques mois après avoir pu découvrir Knit's Island en salle et qui balisait le terrain depuis un autre angle mais en s'intéressant aussi malgré tout à la question de la comédie, puisqu'il se penchait pas mal sur la problématique du RP.
Grand Theft Hamlet fonctionne bien car il sait à la fois mobiliser une écriture et une mise en scène de non-fiction assez académiques (plans de coupe atmosphériques, interventions pittoresques qu'on ne croirait pas dans l'imaginaire, montage en alternance de phases de doute et d'espoir dans la réalisation d'un projet quelconque) et une réflexion plus spécifique au média qu'il utilise, le online de GTA V, l'empêchant de ne se limiter qu'à un simple prétexte gadget.
GTA : O est effectivement, pour qui y a un peu touché, un jeu assez mongolien sur les bords (et en plein dans le centre), et ça a quelque chose de la gageure de vouloir concentrer une poignée de spectateurs, qui ont toutes les chances d'être là surtout pour se déchirer au lance-roquette sans réfléchir, sur un projet aussi incongru que d'écouter un Hamlet dans des micro qui bavent animés par des perso aux animations cadavériques. Ça donne lieu à des scènes assez drôles, notamment pendant les auditions, et parfois étonnamment tristes, sur la plage, qui permettent de tisser en creux un discours intéressant (malheureusement peu traité par le film) sur le rapport du théâtre avec la violence, puisque l'une des fonctions traditionnelles de celui-ci est bien de la contrôler en lui donnant une incarnation dans des corps, sur une scène.
C'est un beau film sur la constitution d'une troupe amateur, sur ce qu'a été le COVID également, sur le plaisir de jouer (dans la polysémie du terme) ensemble, pour vivre et pour survivre, dans un besoin compensatoire parfois mais pas seulement. Et à travers cette thématique, c'est toute une fonction de l'art, libératoire ou enfermante, c'est selon et avec les mêmes mécaniques, qui est interrogée.
On peut déplorer peut-être de ne pas voir plus d'astuces que les acteurs numériques ont pu essayer de mettre en place pour répéter leur pièce, ou que le montage de quelques extraits de la production concrète à la fin ne rende pas tant que ça hommage au grandiose et à la folie du projet. Je ne sais pas trop si c'est un souci de construction du récit ou de manque de maîtrise des techniques spécifiques du machinima – à cet égard, Knit's s'en sort à mon avis franchement mieux -, mais malgré la bonne mélancolie de la fin du récit, il manque peut-être un petit quelque chose pour vraiment rendre honneur à la puissance baroque de Shakespeare. Peut-être était-ce impossible.
Quoi qu'il en soit, c'est un projet pour lequel j'ai une sympathie immense et que j'ai pris plaisir à découvrir sur Mubi.
Pour ceux qui ont aimé Knit's ou qui sont amateurs de ces petites étrangetés, tentez l'expérience, ça vaut le coup. J'ai hâte de voir ce que ce nouveau sous-genre, peut-être, qu'on pourrait appeler le machinima de cinéma, va pouvoir nous réserver à l'avenir.