Grande dame d'un jour par Philistine
Citation tirée de Hollywood Stories, autobiographie de Frank Capra (p. 166) :
« "Oui, je sais, le héros est un idéaliste, mais je trouve quand même que parfois il frise la niaiserie", "La fille est terne dans cette scène", "J'sais pas, mais la dernière séquence m'a laissé froid". Ces premières impressions qui transparaissaient au hasard d'une conversation à bâtons rompus m'étaient plus précieuses que dix pages de critiques détaillées. »
Lady for a Day est aussi prévisible qu'un journal à scandales : http://img140.imageshack.us/img140/3193/ladyforaday.jpg (non, les impossibilités de SensCritique ne limiteront pas ma créativité).
Une vieille et pauvre femme dans le pétrin est aidée de façon quasi-surnaturelle par des riches ; ils la font sienne par un énorme effort de mascarade : de vile pouilleuse elle devient vieille peau ornée de fourrures pour une semaine, le temps de faire croire à sa fille et à sa future belle-famille qu'elle est bel et bien de la haute société. Malgré des embûches, toujours plus de gens se rallient à sa cause, jusqu'à ce que carrément toute la ville y mette du sien, apogée finale, happy ending... apparent.
Petit exercice : imaginez les scènes que va provoquer une telle situation. Non, c'était une blague, vous pouvez ranger vos imaginations : c'est évident, il va y avoir le moment où on va se décider à l'aider, il va y avoir le moment où elle va être transformée, suivi du moment où tout le monde est bluffé, (le moment où quelqu'un qui la connaissait avant sa transformation fait une bourde, mais celui-là nous est épargné), les moments où les acteurs de la mascarade répètent, les contre-temps, et puis, bien sûr, le moment où elle s'apprête à révéler son secret parce que la situation est désespérée, et celui où elle ravale ce qu'elle allait dire car tout s'arrange. C'est la faiblesse du film : l'histoire est téléphonée.
- C'est votre patron au téléphone. Il dit que votre transition ne fonctionne pas bien, quand vous voulez aller des défauts du film à ses qualités, qui sont des scènes anecdotiques. Il dit que « de téléphone à téléphone, on perd le fil ». Vous êtes toujours indisposée à lui répondre ?
- OUI.
Scène géniale à la Capra : un inspecteur crie sur ses agents incapables ; il interrompt la conversation car il reçoit l'appel de son supérieur le préfet de police qui, lui criant dessus, reçoit lui même l'appel de son supérieur, le maire. Le maire menace de virer le préfet de police, qui reprend le téléphone qu'il n'avait pas encore raccroché, et répercute la menace sur l'inspecteur, qui la répercute évidemment sur ses agents. Ces quelque deux minutes de film (j'ai regardé) sont à peu près inutiles dans le déroulement du film, puisque l'élément important de la scène est cet homme qui, après les menaces de l'inspecteur, survient pour livrer un indice. Et ce sont exactement ces genres de minutes délicieuses qui font que l'on apprécie les films de Capra. Ces petites originalités, qui ici font contraste avec la monotonie du scénario.
Un autre détail qui n'est placé que pour la comédie, et qui m'a fait hurler de rire : un des personnages devant être dupé veut téléphoner au consulat d'Espagne, duquel il pourrait apprendre certaines informations compromettantes. Le majordome, qui est dans le coup, prévient le chef, qui demande à ceux qui l'entourent s'ils savent parler espagnol pour baratiner le bonhomme. Personne ne sait. Pourtant, le plan suivant est l'annonce du majordome que le consulat d'Espagne est au bout du fil. Effet de suspense ménagé avec brio. Et là, c'est le chef de la bande lui-même qui répond avec un accent étrange : « Consulaire pas là. Juste moi, garçon japonais. Garçon japonais. »
Bien sûr, le personnage devant être dupé raccroche et oublie totalement l'idée de contacter le consulat, ce qui prouve que la scène est un gag à part entière. Et on retrouve ce genre de scènes ou d'échange de répliques horriblement savoureux dans tous les Capra, le premier me passant par la tête étant ce passage de Mr Deeds goes to Town où Mr Deeds teste l'écho de son escalier et force ses majordomes à lancer des « ouh ! » ridicules.
Mais je suis en train de toucher à un interdit en essayant de décrire des gags, ce qui fait souvent flop. En plus, je vous gâche une partie du plaisir de les voir vous-même. Alors pour revenir au film, ce qui le rend inférieur aux meilleurs Capra, c'est que les personnages y sont beaucoup moins creusés, presque fades, et ils sont de plus incarnés par des acteurs qui m'ont paru médiocres, enfin rien à voir avec James Stewart, Jean Arthur ou Clark Gable. Ainsi, la scène dans laquelle May Robson rédige une lettre à sa fille dans la misère la plus totale, lui décrivant le faux-luxe de sa vie, a l'effet d'un pétard mouillé, quand interprétée avec brio, ou avec des détails de mise en scène un peu plus élaborés que regarder une photo et boire de l'alcool, elle aurait pu être grandiose. Je ne sais pas, moi, on aurait pu voir la vieille femme fermer l'enveloppe, et juste avant de lécher les bords, elle s'arrêterait et irait se laver les dents.
En somme, c'est un film qu'il faut regarder tel un archéologue, pour dépoussiérer par-ci par-là des répliques comme : "Go ahead, use the apartment. My only request is make certain no one puts moustaches on the paintings". Le scénario global est décevant, les scènes attendues, et la fin laisse sur sa faim, même si cela permet d'apporter une ombre au happy ending.