Poupée gonflable
Un dentiste, aisé et formant un couple libre avec son épouse, délaisse tout pour sa nouvelle passion : une poupée gonflable. Tourné en France, le film ne sortira en Espagne qu'après la mort de...
le 29 août 2019
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Youtube n'est pas qu'un robinet à flux continu de vidéos abrutissantes pour jeunes en conflit ouvert avec l'univers scolaire. La plateforme de streaming #1 fut - du moins il y a quelques années - un repère pour freaks furieusement inquiétants.
Si l'on devait désigner un youtubeur pour lui passer une camisole, mon choix se porterait probablement sur le violon gay. Un canadien aux airs de Buffalo Bill, le fameux serial killer à la sexualité perturbée du silence des agneaux. Une poignée de vidéos qui suintent la maladie mentale, toutes identiques dans lesquelles des mannequins dotés de perruques à nuques longues (?!), sont malmenés par ce personnage cauchemardesque. Il leur parle, leur donne des prénoms, les rabroue, les embrasse... Difficile de regarder les vidéos jusqu'au bout tant on redoute de voir le pire se produire d'un seul coup sous nos yeux (la menace planante de "croquer le mulet" perturbe encore mon sommeil).
7 ans après, toujours marqué au fer rouge par ces minutes infernales, impossibles à oublier, je me plonge dans Grandeur nature, de Berlanga. Un réalisateur connu notamment pour le bourreau avec le formidable Nino Manfredi. Ici, il pactise avec un autre monstre des 70's, Michel Piccoli, un acteur qui ne cachait pas son penchant pour les rôles ambiguës ou malsains (Dilinger est mort, la grand bouffe).
Il incarne ici Michel, un dentiste bourgeois parisien qui s'offre une poupée sexuelle. Il l'a récupère avec une fébrilité incroyable et la planque dans son cabinet de dentiste. La poupée est plutôt réaliste, mamelue, avec le regard vide et désincarné d'un gardien de L1. On dirait un cadavre avec son teint vermeil. Et ce fétichisme cumule plusieurs perversions évidentes : nécrophilie, sadisme, fantasme de la poupée et indirectement de la petite fille (les échanges avec sa jeune patiente sont bizarres, il emprunte même le nom de la fillette momentanément pour converser avec sa poupée).
Et cette poupée, dont le prénom varie constamment, prend de plus en plus d'importance dans la vie de Michel. Son couple est pourtant très libre, mais il se détache pour de bon de sa femme. Il présente son sextoy géant à sa mère, qui ne se montre pas plus choquée que ça. Pire, elle en fait même sa confidente. Il fait la tournée des magasins pour l'habiller, et se montre de moins en moins honteux de cette "relation". Bref il construit une liaison mais à ses conditions, en faisant les questions et les réponses, pour s'assurer de ne jamais être déçu. Il s'efforce cependant de respecter les étapes d'une relation bourgeoise normale de l'époque : coup de foudre, mariage religieux, nuit de noces, adultère...
...hara-kiri, viol collectif de la poupée et suicide symbolique en 4L dans une Seine boueuse, bon pas totalement normale en fin de compte.
Et cette liaison toxique grignote la santé de Michel. Il ne travaille plus, filme ses ébats sordides, tombe dans la jalousie puis la maladie. Comme si le besoin d'être déçu par l'autre était inévitable, plus qu'un besoin, c'est une source de satisfaction.
Berlanga avance plusieurs interprétations possibles. Il y voyait avant tout le besoin de solitude et d'éloignement des conventions sociales du personnage. Les années 70 marquent la libération sexuelle, la fin des tabous. Et tout le monde trouve cette poupée irrésistible (la lesbienne de la boutique de fringues, le plombier qui la tringle en cachette, les ouvriers). Les féministes italiennes ont manifesté contre le film, y percevant à tort un message qui invite les hommes à traiter les femmes en objet... Alors que c'est un peu l'inverse en fin de compte, puisqu'il traite un objet en femme.
Quelles sont les limites à cette libération des mœurs ? Ici cela semble être l'autonomie (un trou est un trou diront les moins poètes) et donc la négation de l'autre. Et le comique de certaines situations, tient au fait que le personnage de Piccoli est un pur dominant. Un dentiste fortuné, avec une belle femme qui le désire, et il choisit de tout ruiner pour un bout de plastique à l'aspect très vaguement féminin. Or dans la réalité, ceux qui s'amourachent de ces choses sont des pauvres types en mal d'affection, qui ne parviennent plus à intéresser des vraies femmes, et il est bien difficile de rire de leurs sorts.
On a parfois l'impression de voir un Bertrand Blier ou un Bunuel de l'époque - faut dire que JC Carrière est dans le projet - Piccoli est une nouvelle fois extraordinaire, il n'a jamais été aussi souriant, même quand il tenait Romy Schneider dans ses bras chez Sautet ! Un film bien plus caustique et dérangeant que le plan-plan Monique avec Dupontel, construit sur le même thème et dont on ne comprend pas bien le but, à part faire une comédie légère et gaguesque avec l'auteur de Bernie.
S'il fallait coûte que coûte rapprocher Grandeur nature d'un autre film, on irait davantage chercher un cousinage auprès d'un autre réalisateur ombrageux des années 70 : Marie Poupée de J. Séria fait le chemin inverse : André Dussolier habille en poupée une vraie demoiselle pour son plus grand plaisir chelou. Le résultat est encore plus glauque et bien moins amusant que le film de Berlanga qui vaut le coup d’œil.
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le 22 avr. 2021
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