C’est presque devenu un cliché de critiquer le cinéma français. En même temps, il faut bien avouer que ce dernier ne fait pas beaucoup d’effort, se perdant dans les innombrables comédies ou bien les drames familiaux/conjugaux qui se ressemblent de film en film. Il n’est donc pas étonnant de voir que la plupart des gens préfèrent se tourner vers le cinéma international ou même les séries TV, bien plus prometteuses ces dernières années. Mais parfois, il arrive qu’un titre sorte du lot et montre à quel point notre cinéma national peut encore nous surprendre. Cette année, c’est une coproduction franco-belge qui se permet de prendre le devant de la scène : Grave. Un long-métrage ayant fait sensation lors du dernier Festival de Gérardmer en récoltant le Grand Prix (sans oublier un passage au Festival de Cannes, dans la section Semaine de la Critique durant laquelle il obtint le prix FIPRESCI). Une récompense hautement méritée pour ce film qui risque encore de faire parler de lui dans les mois à venir. Pour le talent de sa réalisatrice Julia Ducournau, mais surtout pour son sujet fort délicat.
En même temps, il est aujourd’hui difficile pour un tel film de devoir parler de cette thématique, sous peine d’être illico censuré au possible ou bien interdit à un jeune public (aux moins de 16 ans en France, pour être exact). Le Silence des Agneaux et toute la franchise Hannibal Lecter sont passés par là. Le récent The Green Inferno également. Vous l’aurez compris : le sujet en question est celui du cannibalisme. Osé pour un petit long-métrage sans prétention, vous ne trouvez pas ? Mais la facilité, Julia Ducournau semble vouloir l’éviter en voulant raconter l’histoire d’une jeune adolescente qui, entrant dans une école vétérinaire, va mettre à jour sa véritable nature et se trouver une terrifiante obsession pour la chair humaine. Rien que sur le papier, l’entreprise paraît bien dérangeante. Vous n’avez encore rien vu ! Car au-delà de son postulat de base, le film se révèle être bien plus ignoble que le plus gore des films d’horreur qui puisse exister. De par ses situations diablement crues (jamais sous-entendues) et des effets spéciaux d’un réalisme saisissant, vous détournerez le regard plus d’une fois sans l’ombre d’un doute. Pour appuyer cet argument, rarement je m’étais retrouvé dans une salle de cinéma où la plupart des spectateurs hurlaient de dégoût à ce point. Il m’est même arrivé plusieurs fois de regarder ailleurs ou bien de rire nerveusement face à certaines séquences déplaisantes. Ce que je n’ai pratiquement jamais fait devant un film, je tiens à le souligner !
Et tout cela pour quoi ? Telle est la question que nous pouvons nous poser ! En effet, à croire le paragraphe précédent, la réalisatrice n’aurait cherché qu’à choquer le public, gratuitement, pour se faire remarquer. Ce qu’elle ne fait jamais, fort heureusement ! Et pour cause, ici, le cannibalisme lui sert de prétexte pour dresser le portrait d’une adolescente. Une manière de traiter ce qui a déjà dit mille fois sur le sujet (l’émancipation du personnage, la découverte de son corps, le désir sexuel, se trouver une place malgré sa différence…) mais d’une manière bien plus originale qu’à l’accoutumée. D’autant plus que Julia Ducournau ne tombe jamais dans la simplicité en proposant une mise en scène très visuelle, balançant entre jeux de couleurs et montage millimétré afin de dresser son portrait. Le tout sublimé par une ambiance pour le moins étrange à souhait et l’exceptionnelle interprétation de la jeune Garance Marillier dans le rôle principale. Reste cependant un scénario tellement centré sur son héroïne qu’il en oublie les personnages secondaires et certains détails qui peuvent créer quelques incohérences (dont le plan final, qui fait poser des questions sur son enfance).
Et pour revenir sur le cannibalisme, sachez qu’il n’est pas aussi anecdotique qu’il semble paraître. Car s’il sert de prétexte à l’intrigue du film, il se présente également comme une métaphore à l’évolution du personnage et de l’adolescence en général. Prenons deux exemples. Dans le premier cas, le cannibalisme peut représenter l’éveil sexuel de l’adolescente. Celle-ci étant végétarienne (vierge) mais qui après avoir mangé un morceau de viande crue pour cause de bizutage (la première fois) va s’abandonner à cette obsession de la viande (le désir sexuel permanent à cette période de la vie). Dans le second à une drogue. Quelque chose de mauvais au premier abord mais qui, une fois goûté, va vous obséder au plus haut point jusqu’à la surconsommation et la dépendance. Provoquant pour le coup des crises et douleurs monstrueuses en cas de manque, ainsi qu’à la souffrance morale et physique des proches. Bref, un sujet qui sert l’intrigue et les motivations du long-métrage à la perfection, témoignant d’un travail d’écriture d’orfèvre !
Comme quoi, en dehors de ses comédies et drames à tout-va, le cinéma français peut encore proposer quelques pépites qui sauront marquer les esprits. Grave fait incontestablement partie de ces films, étant un long-métrage maîtrisé de bout en bout et ce malgré quelques « oublis » scénaristiques. Rarement un film de notre cru aura su surprendre de la sorte. Et franchement, cela fait un bien fou de voir que l’art et le savoir-faire sont encore les préoccupations premières chez nos réalisateurs. En espérant que Grave ouvre la voie à différents cinéastes en herbe, qui sauront se lancer à leur tour dans des projets qui sortent du lot.