Difficile de ne pas attendre déraisonnablement un film comme Gravity. Les fils de l’homme est un de mes films préférés, Alfonso Cuarón un des réalisateurs actuels les plus intéressants, le projet en lui-même tout simplement dingue… En ajoutant George Clooney et les rumeurs d’un plan-séquence d’ouverture dantesque, je ne pouvais être plus impatient. Ma seule réserve restait Sandra Bullock, qui de choix douteux en prestations peu mémorables n’a guère marqué le cinéma depuis Speed, il y a déjà vingt ans.

Le point de départ est simple : deux astronautes en mission de réparation voient leur station détruite par des débris, et vont lutter pour survivre. Rassurez-vous, je ne révèlerai rien sur la suite du film scénaristiquement parlant.
Les lumières s’éteignent, un son angoissant et assourdissant retentit avant de laisser la salle dans un silence de cathédrale, puis le fameux plan séquence d’ouverture est là. Et quel plan ! Un véritable ballet chorégraphié à la perfection entre la navette, les astronautes et la Terre, rythmé par des dialogues simples et malins, qui donnent rapidement de la profondeur aux personnages.
On pense forcément au 2001 de Kubrick, qui avait eu l’idée de mettre en scène un arrimage sur fond de musique classique. Ici, c’est dans la première minute que l’on peut voir une des références les plus évidentes au film, avec la navette se mouvant très lentement jusqu’à atteindre la caméra et à l’entraîner, suivant un George Clooney virevoltant autour de la station, s’arrêtant sur une réparation, le tout avec une fluidité et une virtuosité étourdissantes.

Le génie de ce plan-séquence est d’arriver à parfaitement mettre en place les personnages, la situation et le décor et de nous conduire l’air de rien, en faisant très graduellement monter la pression, jusqu’à l’élément perturbateur. Montrée de façon quelque peu excessive dans la première bande-annonce, avec du bruit absent du film (il faut bien appâter le spectateur moyen), la destruction de la station est tout bonnement à couper le souffle. De l’action intelligente qui n’a pas pour finalité le simple spectacle visuel, mais qui met nos nerfs à rude épreuve en plongeant les personnages dans une situation cauchemardesque. Difficile de faire plus angoissant que d’être condamné à une mort lente, à la dérive dans le vide.

Par la suite, Cuarón pousse le vice et la virtuosité jusqu’à nous faire entrer à l'intérieur du casque de Sandra Bullock, dont le personnage moins expérimenté sert de relais au spectateur. Ceci afin de se retrouver en vue subjective alors que le plan partait de sa dérive filmée de l’extérieur, sinon ce serait trop facile. C’est ce genre de prouesses qui sont pour moi la preuve que le cinéma peut encore évoluer et nous surprendre.
Il y a encore quelques dizaines d’années, on ne pouvait que rêver de réaliser de tels plans, et encore plus un tel film. Loin d’être gratuits, les nombreux plans à la première personne confèrent quelque chose de terriblement anxiogène aux situations les plus difficiles, où chaque détail comme la buée à l’intérieur du casque ou la respiration paniquée du personnage ont leur importance.

On touche là, très rapidement dans le film, à ce qui définit la proposition de cinéma faite par Cuarón. Les fils de l’homme était un film à l’histoire et à l’univers riches et complexes, porteurs de nombreuses réflexions sur l’homme et son avenir, qui se permettaient d’être transcendés par une mise en scène grandiose et un casting béton. Sept (longues) années plus tard, le réalisateur nous propose quelque chose de bien plus épuré à ce niveau, d’entièrement focalisé sur la survie et ne s’encombrant pas de philosophie ou de métaphysique.
Ce point précis est à la fois un choix totalement assumé que je comprends, qui ne pose jamais problème dans le film car il est à vivre comme une pure expérience sensorielle, mais c’est également la raison qui l’empêche d’être un chef d’œuvre à mes yeux. Par cette relative absence de fond, le film ne laisse quasiment rien sur quoi le spectateur puisse méditer, ce petit truc qui fait qu’on repense encore au film une semaine, un mois, un an plus tard.

Par contre il est évident que dans son but d’être une expérience de la survie dans l’espace, le film est à peu près aussi parfait que je pouvais l’imaginer. Une fois n’est pas coutume, la 3D et les images de synthèse sont une réussite qui dépasse toutes les attentes. Pour un budget de cent millions de dollars, relativement modeste à l’heure actuelle, Cuarón repousse les limites du numérique et nous offre des effets spéciaux tellement aboutis que pas une fois je n’ai éprouvé ce pincement désagréable face au détail bien raté qui nous sort du film. La profondeur est exploitée à merveille, c’est pour ma part la 3D la plus convaincante que j’ai eu l’occasion de voir. Les quelques passages avec un objet frôlant l’écran ne sont pas gadgets, le relief toujours judicieux pour montrer l’échelle ou les distances, bref son utilisation n’est pas gratuite et je ne peux que vous conseiller d’en profiter.

C’est un film à voir au cinéma pour une multitude de raisons : l’immersion, la 3D, le traitement du son, le suspense qui vous cloue au fauteuil, pour vivre l’immensité du décor… Le découvrir « plus tard à la télé » n’aura indéniablement pas le même impact, et je vous le promets, je n’ai pas d’actions sur le film. Il mérite pourtant de cartonner, ne serait-ce que pour garantir l’avenir de Cuarón et lui permettre de réaliser ce qu’il souhaite sans que l’aspect financier puisse être un problème.

C’est aussi un film à voir au cinéma parce qu’il est un des meilleurs de l’année, tout simplement. Dans sa formule, il touche au blockbuster ultime pour plusieurs raisons. Déjà, comme je l’ai développé, les effets spéciaux sont sublimes et le scénario, s’il est simple et tourné vers l’efficacité, ne se montre pas idiot pour autant. Les dialogues sont très bons et toujours judicieux, ni trop, ce qui casserait le réalisme, ni pas assez, ce qui aurait pu rendre certains passages un peu longs. Les scènes d’action sont parmi les plus impressionnantes que l’on ait pu voir depuis longtemps, et nous impliquent plus qu’à l’accoutumée car les personnages ont été développés au préalable. Incroyable, non ? Le fléau des mauvais films d’action, de plus en plus répandu, est que même si les scènes les plus mouvementées sont bien filmées, si le spectateur n’a pas d’empathie, alors elles sont vaines.

Dans Gravity, les personnages sont en danger mortel à chaque minute, et l’angoisse atteint des sommets à de nombreuses reprises. Offrir un spectacle visuel total, sans gaspiller une seule minute de son temps et en maîtrisant chacun des outils et des artifices cinématographiques, ce n’est pas donné à tout le monde, et ce n’est certainement pas demain que l’on reverra un film aussi complet et généreux à tous ces niveaux. C’est tout juste si j’émettrai une réserve vis-à-vis de la bande son, que j’ai trouvée sobre et angoissante dans les scènes de suspense, mais parfois bien balourde et pompeuse pour souligner l’émotion. Vraiment un détail mineur, et vu le niveau de la musique dans les blockbusters actuels, je n’en tiens pas rigueur.

Pour tout le reste, si vous cherchez un film qui vous en mettra plein la vue sans vous prendre pour le dernier des demeurés, un film à grand spectacle au sens le plus noble du terme, dont vous ressortirez des étoiles plein les yeux après avoir réussi à lâcher votre accoudoir, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
blazcowicz
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le 16 oct. 2013

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