(quelques petits spoils, mais rien de bien grave)
Gravity était attendu comme le messie, l’œuvre qui allait côtoyer 2001: l’odyssée de l’espace dans le petit cœur de tous les cinéphiles adeptes de SF, désireux d’y trouver une maturité et un réalisme (aussi bien narratifs que scientifiques) qui ont tendance à briller par leur absence dans les productions habituelles. Avec tout ça, le film a été vendu comme une expérimentation de tous les instants notamment pour son immersion, sujet de tous les superlatifs, aussi bien sur son aspect visuel que sonore. Une sacrée pression, donc. Force est de constater qu’il aurait peut-être fallu y aller mollo sur les compliments tant Gravity est à la fois, en effet, une impressionnante expérience mais aussi une curieuse déception.
Cuaron sait y faire avec l’image, ce n’est plus à prouver. On se souvient de la mise en scène extraordinaire des Fils de l’Homme, à grands coups de plans séquences (bidonnés, certes), en veux-tu, en voilà. C’est la même chose ici. Rarement l’immensité de l’espace a été mieux représentée au cinéma et faut effectivement remonter jusque Kubrick, il y a près de 50 ans (le temps passe vite, vous ne trouvez pas ?), pour avoir quelque chose s’en rapprochant. La caméra baladeuse soutenue par l’insistance des séquences et une 3D parfaite (j’aime pas la 3D, il est toujours de bon ton de le préciser) offrent une véritable sensation de vertige, de flottement et, allez, osons le mot, d’apesanteur. C’est inouï de voir comment Cuaron parvient à brouiller nos sens à ce point et j’avoue que j’étais tellement pris dans le processus que j’avais totalement perdu l’équilibre à la sortie de la salle (à peu près dans le même état qu’un samedi soir bien arrosé). Et puis il y a cette ambition très tactile à chaque coin d’image, comme si le cinéaste voulait en faire le plus possible, ne gâcher aucune seconde qui doit valoir son pesant de dollars. La volonté de faire ressurgir les éléments par exemple, qu’on retrouve régulièrement (la terre des continents, les gouttes d’eau, l’incendie). Il y a quelque chose de très enfantin, presque puéril, mais touchant. Attraction de fête foraine ? Futuroscope ? Peut-être mais je m’en fous, j’ai adoré planer, me laisser ainsi balader pendant une heure et demie et me prendre dans la tronche toutes sortes de débris spatiaux. Et puis, je ne vous ferais pas le coup des origines du cinéma, on l’a archi-entendue.
Mais bon, tout de même, Alfonso, c’est quoi ce scénario ? Pourquoi t’es venu nous foutre ce personnage de mes deux, Bullock ? (ceci est une blague, riez) Et surtout, arrête de nous prendre pour des jambons à faire semblant de creuser ton personnage alors que tu ne fais que répéter toutes les quinze minutes « Je vais parvenir à rentrer sur Terre, ça sera pour ma fille disparue, snif ». C’est pas parce que tu radotes que ça en devient convaincant, qu’on y voit de la profondeur ou, pire, qu’on se prend de sympathie pour elle. Même toute cette symbolique autour de la (re)naissance est d’une lourdeur phénoménale, bien que j’avoue qu’elle réserve elle aussi quelques très belles séquences, malgré leur niaiserie. Ton film est un survival classique, avec deux lignes de scénario et douze rebondissements à la minute, point. Alors bon, j’ai l’impression, Alfonso, que t’avais des images plein la tête, des trucs absolument fantastiques, que t’as su très bien t’en servir. Une fois de plus, ça se voit que t’y a pris un plaisir fou et c’est communicatif, mais qu’après, il a fallu créer une histoire, broder, et que tu ne savais pas forcément quoi dire. Alors t’as fait ça un peu l’arrache, en pensant que personne ne le verrait. Raté. Mais je ne t’en veux pas vraiment, va, parce que c’est vrai que le sujet ne se prête pas à une histoire très complexe. Mais seulement, arrête de te faire passer pour autre que ce que tu es. Et avec ce que je me suis pris dans les mirettes, ça serait dommage d’être rancunier. D’où ma note.
On est donc loin du chef d’oeuvre annoncé (auto-proclamé ?) mais Gravity reste un véritable moment de cinéma, où tous nos sens sont en alertes pour mieux les troubler. A vivre au moins une fois, en salle bien évidemment, et c’est déjà beaucoup.