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Si 2015 sera l’année du blockbuster aux budgets à neuf chiffres, 2013 se démarque quant à elle dans l’Histoire du cinéma par ses très nombreuses productions de science-fiction. Cloud Atlas, After Earth, Oblivion, Elysium, Star Trek : Into Darkness, Pacific Rim ont lancé l’année sur les chapeaux de roue avec son lot de succès et d’échecs. Et en attendant Snowpiercer - Le Transperceneige du génial Bong Joon-Ho (The Host, Memories of Murder), le nouveau film d’Alfonso Cuarón était le plus attendu de cet automne. Il faut dire que depuis l’époustouflant Les Fils de L’Homme, l’homme se fait désirer. Sept ans. Sept ans qu’il lui a fallu pour écrire le scénario, et inventer une technologie irréprochable pour que le projet mythologique et spatiale d’ Alfonso Cuarón puisse être totalement réalisable. Il est vrai qu’entre temps, le réalisateur mexicain s’est également retrouvé producteur sur d’autres films, mais tout son génie ne semblait être destiné qu’à la force de gravité. Sept ans, c’est une véritable tranche de vie mais ça valait très certainement la peine pour que son film puisse rentrer directement dans le panthéon du genre. Grâce à une technique implacable et des effets visuels saisissants, Gravity est un chef d’œuvre de la science-fiction au même titre que le 2001 : L’Odyssée de l’espace –sur le plan technique- même s’il peut sembler déraisonné de le comparer au légendaire Stanley Kubrick.

Car avant tout, il faut mettre les points sur les i. S’il est indéniable de dire que Gravity est une merveille de techniques visuelles et de langage cinématographique, l’intrigue de Gravity est minimaliste et ne semble être qu’un prétexte à une avalanche d’effets-spéciaux et de plans-séquences absolument dantesques. Pour autant, il faut prendre Gravity pour ce qu’il est : c’est un film modeste. Jamais Alfonso Cuaron n’a la prétention de revendiquer un cinéma métaphysique, malgré de nombreuses symboliques. Tout son travail se concentre sur la solitude, le fait d’être perdu dans l’espace, le fait de se battre pour vivre et donc la Renaissance de l’Homme. Il s’agit tout simplement d’un survival spatial, un huis-clos des plus déstabilisants tant le film évoque l’infini, le danger de l’inconnu et les conséquences individuelles qui influent sur l’univers. Gravity est clairement un film optimiste et met essentiellement en avant cette allégorie de la Renaissance de l’Homme qui doit se battre pour persévérer dans l’univers, de l’infiniment microscopique à l’immensité spatiale. Il serait fort dommage de juger son film sur son seul scénario. Gravity est un film qui explore les nouvelles technologies, la minutie de l’image et la beauté qu’elle recèle. Jamais des plans aussi numériques n’ont paru aussi plausibles. L’infiniment petit et l’infiniment grand se croise et s’entrecroise pour offrir au spectateur des plans majestueux, littéralement à couper le souffle. Mais ce qui fait que le film est aussi magistral, c’est avant tout l’amour d’un réalisateur pour le cinéma, pour un retour à une conception du cinéma basée sur l’image et le mouvement, davantage en tout cas que le montage ultra-découpée, modèle standard de tout bon film d’action et blockbuster actuel qui se respecte. Il ne s’agit pas d’une critique du modèle, qui peut se voir lui-même comme un art du découpage, mais le langage d’Alfonso est extrêmement poétique et sied parfaitement à l’espace, ce lieu de toutes les possibilités et qui fait rêver tout un chacun.

Si l’espace a déjà été rendu à l’écran de très nombreuses fois, et donc le phénomène de gravité par la même occasion, le cinéma ne s’était jamais encore porté exclusivement sur les sorties en espace et donc cette thématique de l’Homme dans le vide intersidéral, seul face à l’infini. Il faut dire que si l’espace est quelque chose de terriblement fascinant pour l’ensemble des mortels, il est difficile de rendre à l’écran un tel sujet aussi excitant. C’était toute la difficulté pour Alfonso Cuarón, outre la manière de retranscrire cela à l’écran avec les moyens technologiques actuels. Même s’il ne cesse de déclarer en interviews qu’il n’a pas revu 2001 : l’Odyssée de l’espace de Stanley depuis le début de la production du film, préférant éviter de se confronter au maître pour éviter de douter de son ambition, Gravity transpire la référence symbolique, qu’elle soit destinée à Stanley Kubrick (le thème de la vie et de la renaissance de l’Homme, la position fœtale de Ryan) ou Ridley Scott (l’isolation, la solitude dans l’espace et la proximité entre le personnage de Ryan et celui de Ripley). Alors il est vrai que si le film s’emploie à faire apparaître à l’écran des symboliques implicites, le fil conducteur du film tient sur un post-it. L’approche scénaristique rappellerait presque certaines composantes qu’il est possible de retrouver dans le jeu vidéo. En effet, le personnage principal doit passer par plusieurs niveaux semés d’obstacles tout en prenant soin de les éviter pour gagner. Ainsi, lorsqu’une catastrophe se produit dans l’espace créant des conséquences à la chaîne, toute l’intrigue du film repose sur le personnage de Ryan/Sandra Bullock qui devra se battre pour survivre dans cet environnement infini, inédit et inconnu qu’est l’espace. Le film tient son intensité dans les nombreux rebondissements où le personnage est constamment en danger. A nouveau, il y a toute une mythologie autour de son personnage et elle devra se battre, « ne jamais lâcher » pour pouvoir s’en sortir.

En parlant de Sandra Bullock justement, si le choix du réalisateur a été longtemps décrié, de par sa filmographie très inégale et peu brillante, il faut reconnaître qu’elle assure le boulot ce qui lui permet d’avoir là un des meilleurs rôles de sa carrière. Le tournage dans les conditions de la Light Box a dû être extrêmement complexe pour elle, sachant que l’ensemble de son jeu devait se retrouver sur son visage, indépendamment de la Light Box. Cette « boîte de lumières » est en fait une technologie inventée par l’équipe du film pour pouvoir filmer les jeux des acteurs et les retranscrire dans un environnement de gravité, de manière « réaliste ». Pour revenir au casting, George Clooney partage également l’affiche avec l’actrice et son jeu tout en retenu convient parfaitement à son personnage et assure également le boulot. Il apporte par ailleurs une touche de légèreté et d’humour non négligeable faisant passer sensiblement le film du drame au buddy movie (films de copains). A noter la voix-off d’Ed Harris pour la télécommunication des astronautes avec Houston. L’alchimie entre les acteurs fonctionne rapidement même s’il manque un peu d’épaisseur. Mais concrètement, Gravity est un film qui repose sur un seul personnage. Et tout le montage et le langage cinématographique d’Alfonso Cuarón s’évertue à mettre le spectateur à sa place, à rendre l’expérience immersive. Et le pari est assurément réussi. La direction de la photographie du talentueux Emmanuel Lubezki (fidèle de Terrence Malick et déjà présent sur Les Fils de l’Homme) est une merveille de genre. Outre les plans-séquences dantesques et particulièrement beaux, il y a un travelling en particulier qui retient l’attention. Celui où la caméra perdue dans l’espace, comme à la troisième personne, se rapproche sensiblement de Ryan, jusqu’à faire rentrer le spectateur dans la combinaison de l’astronaute, faisant passer en douceur le film de la troisième personne à la première personne. A ce moment-là, l’immersion trouve là la meilleure expression cinématographique qu’il soit. Le stress, la peur, la solitude, le spectaculaire qui se déploie sous les yeux, le spectateur le ressent allègrement toutes ces émotions et quelle victoire que ce final pour laisser l’impression d’un film mythique. Jugé trop présente, la composition de Steven Price souligne un peu trop l’action, il est vrai, mais elle apporte également une certaine plus-value à cette intrigue qui devient –presque de fait- épique. Gravity est un film viscéral et spectaculaire, c’est en cela qu’il est aussi universel à l’heure actuelle. Un succès qui n’est pas prêt de s’arrêter pour ce film où il est difficile de résister à l’appel de cette nouvelle et originale expérience, qu’importe qu’il y ait de bons ou de mauvais échos.

Si le film met en avant en quelques sortes l’Odyssée de Ryan pour renaître parmi les siens, Gravity est surtout une odyssée technologique où Alfonso Cuarón a mis tout son génie, son amour et son travail pour réaliser une épopée spatiale, spectaculaire et magnifique comme celle-ci. Une épopée qui a demandé à son auteur un travail incroyable et toute une période de sa vie pour atteindre ce degré de performance visuelle. Gravity est un résultat formidable, qui rentre directement dans le panthéon du genre et fait entrer indéfiniment le réalisateur dans la catégorie des grands et surtout dans celle des inoubliables. Un succès plus que mérité même si le film n’est pas irréprochable. Pour autant, le film assume sa modestie et ne concurrence nullement les chefs d’œuvres de Kubrick ou de Ridley Scott, au contraire il les embrasse amicalement. Alors laissons de côté ce scénario minimaliste et revenons à l’essentiel : Gravity est un somptueux chef d’œuvre. Une nouvelle référence en termes de techniques cinématographiques. Une merveille visuelle qui rend l’expérience inoubliable et à vivre absolument au cinéma. Le seul regret à la fin de ce film, c’est espérer qu’il ne faudra plus attendre sept ans pour revoir Alfonso Cuarón remettre le couvert.
Kévin List

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