"Let's get out of here" - La reconfiguration du cinéma spatial
Gravity n’est pas de la science-fiction
Sur Internet le film est unanimement répertorié comme un film de science-fiction. Cela provient d’une association courante : les moyens employés et le rendu esthétique final évoquent le blockbuster, or jusqu’à Gravity, un blockbuster spatial a toujours été une œuvre de science-fiction. Mais le film n’est pas autre chose qu’un « drame », tout au plus un « survival » : il ne comporte aucun motif futuriste, aucune anticipation. Toutes ses composantes sont admissibles dans la réalité d’aujourd’hui.
Le réalisme dans le cinéma spatial
Gravity n’est pas le premier film spatial à rechercher un effet de réel. En 1929, Fritz Lang tourne La Femme sur la Lune dans cette perspective. Bien que le voyage dans l’espace soit alors un pur fantasme, il envisage sa mise en scène avec le plus de vraisemblance possible. Pour ce faire, il travaille le scénario et la réalisation en collaboration avec Herman Oberth, astrophysicien reconnu depuis comme l’un des pères fondateurs de la navigation spatiale. Plus récemment, Erik Wernquist a réalisé une œuvre similaire en signant le court-métrage Wanderers (2014), adapté aux connaissances de notre époque. Le film montre des silhouettes humaines qui explorent des paysages situés à différents endroits de notre galaxie. En amenant l’imaginaire spatial à une échelle humaine, Wernquist signe une fantaisie graphique qui, à la manière de Fritz Lang à son époque, fait pressentir une quelque chose de l’ordre du possible à son spectateur.
Un survival comme les autres
Gravity fait date parce qu’il fait passer tout un champ cinématographique du vraisemblable au réaliste. Les problèmes que rencontrent Matt Kowalski et Ryan Stone au cours du film sont des tous « ordinaires » : ils pourraient advenir dans n’importe quel survival. Le premier type de ces problèmes est celui du manque d’énergie. Il empêche les déplacements et condamne la survie. On peut citer l’asphyxie : alors qu’elle rejoint la Station Spatiale Internationale, le Dr Stone se retrouve en carence d’oxygène et frôle la mort. De retour sur Terre, elle échappera à une autre forme d’asphyxie en manquant de se noyer. Cette séquence finale prouve que les risques sont les mêmes en orbite et sur le sol de la planète. Les troubles de la communication constituent l’autre danger principal rencontré par les protagonistes. Pour rentrer sur terre, Ryan Stone doit utiliser le module de secours chinois, Shenzhou. Dans un premier temps elle ne parvient pas à le démarrer en raison d’un problème élémentaire : le manuel et le tableau de bord sont entièrement rédigés en mandarin. En affirmant que la barrière des langues est une cause de vie ou de mort, Cuarón montre à quel point l’espace est un milieu humain. Le fait que l’astronaute survive est une nouvelle preuve de l’anthropisation de l’espace, suffisamment aboutie pour qu’un être humain soit capable de revenir sur Terre sans contact radio, par ses propres moyens.
Lier la terre à son orbite
Le film opère une dissociation entre l’espace comme sujet et la science-fiction comme genre. Il y parvient par la mise en relation permanente de la planète avec son espace orbital. Les deux lieux sont envisagés comme constitutifs d’un même ensemble. Du point de vue de la composition du cadre, la Terre est très souvent visible à l’arrière-plan. En cela, le décor se fait expressionniste : la présence ou l’absence de la planète reflète presque toujours les intentions des personnages. Dans la diégèse, la même relation Terre/Orbite est symbolisée par le contact radio. Il est coupé par la pluie de débris inaugurale qui est à la source de la situation périlleuse rencontrée par les personnages tout au long du récit. Ceux-ci n’ont de cesse que de le rétablir, prouvant par-là la nécessité de ce contact : dans l’espace aujourd’hui, la vie humaine n’est possible que si elle est reliée à la planète. Par ailleurs, il faut remarquer la similarité existante entre la mise en scène de Gravity et celle d’Aningaaq. Ce court-métrage cross-over (réalisé par Joachim Cuarón, fils d’Alfonso) montre le personnage de l’Inuit alors qu’il est contacté par Ryan Stone. Anningaaq est présenté dans un paysage aussi blanc que l’espace est noir autour de l’astronaute. Lui aussi est dépendant de la technique, et est soumis à des lois naturelles aussi contraignantes que celles qui règnent dans l’espace. Cela réaffirme que la planète et son orbite ne forment qu’un seul ensemble.
Retour sur Terre
Lorsqu’il rejoint Ryan Stone ayant dérivé dans l’espace, Matt Kowalski s’exclame « Let’s get out of here ». La réplique, dissimulée sous le voile de l’ordinaire, est totalement sidérante : les personnages sont dans un endroit qui est l’antithèse même d’un lieu, tout à fait incertain et indéfini. Le « here » n’y existe pas, le « out » y est inconcevable. Cependant, on peut adresser la citation au domaine de la science-fiction tout entier. Aux prémices du genre, Jules Vernes écrit De la Terre à la Lune (1865). Ce n’est pas un hasard si cent cinquante ans plus tard, c’est un retour que relatent les Cuarón père & fils : avec le Dr Stone, c’est tout un champ du cinéma – l’espace – qui revient sur Terre ramené à des dimensions humaines.
Critique parue dans le magazine "Le Septième"