"Come down to New-Orleans" - Du jazz, du jazz, du jazz !
Balzac à la Nouvelle-Orléans
La série a pour théâtre « The Big Easy », quelques mois après qu’elle a été frappée par l’ouragan Katrina. Ses quatre saisons rapportent les évènements des quatre années suivant la catastrophe, s’intéressant à tous les niveaux de la population de la ville et de sa culture. Le spectateur est ainsi amené à suivre une quinzaine de personnages, tous liés à un aspect culturel ou politique de la ville. Le fil dramatique tend à exposer et dénouer les traumatismes conséquents à Katrina, qu’ils soient d’ordres humain ou urbain : tous les personnages s’efforcent de rebâtir leurs vies, leur ville et leur culture. Ils le font au moyen de l’action individuelle, de celle des pouvoirs en place qu’ils tentent d’influer, et de celle du temps.
Nouvelle-Orléans à la sauce Simon & Overmyer
Le temps est d’ailleurs un critère fondamental de l’œuvre tant il y prend une densité peu commune : à l’image de The Wire, Treme est la transformation d’un lieu réel en lieu filmique fictionnel. L’écriture de la série est contemporaine des faits qu’elle rapporte et traduit en fiction. Les auteurs ont poussé leur étude plus loin qu’ils ne l’avaient fait avec Baltimore : leurs plumes sont nourries d’une documentation féroce, rarissime dans un cinéma de série fictionnelle. Celle-ci relate des évènements politiques historiques tels l’abandon économique de la ville par les pouvoirs fédéraux et nationaux, des décisions locales (la « purge urbaine » entreprise par la mairie, qui a condamné des logements pourtant salubres afin de les remplacer par des neufs, évitant ainsi le retour des populations miséreuses et de l’insécurité qui leur est inhérente), mais aussi les détails les plus anecdotiques, véritables battements de cœur de la ville. C’est le cas de l’histoire de Davis McAlary qui est inspirée des frasques d’un personnage réel, aussi délirant que lui, vivant à « Treme », le quartier noir historique de La Nouvelle-Orléans.
L’effet de réel
Du fait de cette liaison forte à l’actualité, on a souvent qualifié les œuvres de David Simon d’être empreintes d'une « image documentaire », que l’on expliquerait par son passé de journaliste. Outre que cette expression n’a aucun sens, au vu de la diversité des styles et des genres du documentaire, il faut remarquer que la sensation de réalité est construite de toutes pièces. Une séquence onirique vient le révéler au spectateur. L’une des protagonistes retrouve son frère en prison avant de soudainement se retrouver avec de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Elle s’éveille et réalise qu’il s’agissait d’un rêve, en même temps que le spectateur. Pris à défaut, ce dernier peut comprendre que le statut des images ne tient qu’à la perception qu’il en a. De plus, il est impossible de distinguer ce qui est inventé par les auteurs de ce qui est la représentation d’un vécu si l’on n’a pas les connaissances préalables de ce vécu. Plutôt que d’image documentaire, il faut parler « d’effet de réel ». Cet effet est l’un des plaisirs les plus touchants de la série : ce sont des tranches de vie réelles qui sont filmées, et elles viennent affecter l’image jusque dans son style.
Chant de la ville
Mais l’identité stylistique de Treme réside indéniablement dans son cri d’amour à la musique. Dans les classifications des médias, on retrouve souvent la série sous le genre « musical ». Il s’agit d’une grave erreur : la musique n’est pas un accessoire de la mise en scène, c’est son sujet principal. Symbole culturel emblématique de la ville, elle est essentielle à la vie de tous les personnages. Ceux qui ne sont pas musiciens l’écoutent tout le temps, et les autres la pratiquent, partout : dans la rue, dans des bars et des petits clubs, ou à échelle internationale. La culture « indian », héritage unificateur des différentes minorités ethniques du sud-est des États-Unis, l’érige en pouvoir identitaire. De plus, elle est investie d’une force réelle, dans la mise en scène comme dans la diégèse : elle peut régler des conflits chez les « indians », permettre à un personnage de dépasser les malentendus qu’il a avec sa femme, et même conduire la campagne électorale délirante de Davis.
Un filmage performatif
Au-delà de sa narration, la série agit comme une cartographie de la ville. En parcourant les différents lieux, institutions et personnalités qui la composent, elle offre toute une culture à son spectateur. La musique est le vecteur de cette instruction audiovisuelle : à la fin de la première saison, les habitants réussisse à célébrer Mardi-Gras, festivité spécifique à La Nouvelle-Orléans. En entendant la musique résonner dans sa ville, l’un des personnages s’exclame « It sounds like a rebirth ». De fait, en voulant traduire en fiction la reconstruction d’une ville, les créateurs opèrent à un filmage performatif : par leur écriture est née une Nouvelle-Orléans purement cinématographique, et elle s’appelle Treme.
Critique parue dans le magazine "Le Septième".